Utilisation d’antidépresseurs chez les enfants et les adolescents souffrant de dépression: état de la question


Abstract

En Belgique, aucun antidépresseur n’est enregistré pour le traitement de la dépression chez les enfants et chez les adolescents. Certains antidépresseurs ont fait l’objet d’études dans cette tranche d’âge, mais pour aucun d’entre eux une efficacité n’a été suffisamment démontrée. De plus, certaines études montrent un risque accru de tendances suicidaires et d’automutilation, et d’après la Food and Drug Administration américaine, un tel risque ne peut être exclu pour aucun antidépresseur. La décision d’instaurer un antidépresseur chez un enfant ou un adolescent doit être prise par un médecin expérimenté dans ce domaine, après avoir mis en balance les risques et les avantages éventuels mais non prouvés. Le traitement nécessite un suivi et une évaluation continus, et doit être associé à une prise en charge psychothérapeutique.

Au cours de l’année 2003, des avertissements concernant l’emploi des antidépresseurs paroxétine (un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine) et venlafaxine chez les enfants et les adolescents ont été émis en Grande-Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis [voir Folia de janvier 2004 ]. Des études réalisées dans cette tranche d’âge avaient en effet suscité des doutes quant à leur efficacité, et montraient un risque plus élevé de tendances suicidaires et d’automutilation dans les groupes traités que dans les groupes placebo. Depuis, plusieurs analyses et commentaires sur l’efficacité et l’innocuité de ces antidépresseurs et d’autres ont été publiés. Quelle est actuellement la place des antidépresseurs chez les jeunes souffrant de dépression?

En Belgique, les antidépresseurs ne sont pas enregistrés pour le traitement de la dépression chez les enfants et les adolescents. C’est également le cas dans beaucoup d’autres pays (à l’exception des Etats-Unis où la fluoxétine est enregistrée dans cette indication). Les antidépresseurs sont cependant souvent utilisés "off-label", c.-à-d. en dehors des indications mentionnées dans la notice.

Bon nombre d’analyses et de commentaires émettent la critique que les études portant sur l’utilisation des antidépresseurs chez les enfants et les adolescents n’ont pas toutes été publiées. Des analyses publiées dans le Lancet et le British Medical Journal apportent de forts arguments quant à la présence de biais de publication [forme de biais qui consiste en ce que des études avec des résultats positifs ont plus de chance d’être publiées que des études avec des résultats négatifs ou non significatifs], la sous-notification ou la minimalisation des effets indésirables, et l’amplification des effets favorables. Une autre critique formulée est que la plupart des études publiées sur les antidépresseurs chez les enfants et les adolescents sont financées par des firmes pharmaceutiques.


Efficacité des antidépresseurs chez les enfants et les adolescents

Dans toutes les études réalisées avec des antidépresseurs tricycliques et des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), il existe un effet placebo important. Ceci a pour conséquence que le nombre de patients doit être important pour pouvoir mettre en évidence les différences entre un traitement actif et un placebo, certainement si celles-ci sont minimes. Cependant, les études réalisées chez les jeunes dépressifs sont le plus souvent des études de petite taille.

Les études qui ont été réalisées avec les antidépresseurs tricycliques chez les jeunes dépressifs sont de qualité variable et ne montrent pas d’effet ou qu’un faible effet cliniquement non significatif. Il n’est dès lors pas étonnant qu’une méta-analyse parue en 1995 dans le British Medical Journal et une revue systématique d’études randomisées, contrôlées par placebo réalisée par la Cochrane Collaboration, n’aient pas pu apporter de preuves d’efficacité. Une analyse de sous-groupes des études, réalisée par la Cochrane Collaboration, a toutefois montré chez les adolescents un faible effet favorable sur les symptômes, mais on peut se poser la question de savoir quelle est la valeur d’une sous-analyse d’études dont la qualité n’est déjà pas bonne au départ.

Certains inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et des antidépresseurs tels la venlafaxine et la mirtazapine ont également fait l’objet d’études chez des enfants et des adolescents dépressifs. Ces études ne montrent pas d’effet ou donnent des résultats contradictoires. Bien que la fluoxétine soit enregistrée aux Etats-Unis pour le traitement de la dépression chez les enfants et les adolescents, la conclusion d’une analyse au niveau européen par le Committee on Human Medicinal Products (CHMP) était que ces études n’apportent pas de preuves suffisantes pour accepter la fluoxétine dans cette indication.


Risque de tendances suicidaires avec les antidépresseurs

Au cours de l’année 2003, il a été suggéré que certains antidépresseurs augmenteraient le risque de tendances suicidaires chez les jeunes. Cette augmentation de risque est-elle réelle, et existe-t-elle pour tous les antidépresseurs? Il est actuellement impossible de donner une réponse définitive à cette question. Pour plusieurs médicaments, il existe en tout cas des indices d’un tel effet. Une analyse réalisée par la Food and Drug Administration (FDA) américaine de toutes les études randomisées réalisées sur les antidépresseurs chez les enfants et les adolescents montre un risque deux fois plus élevé de tendances suicidaires chez les enfants traités par un antidépresseur (pour une dépression ou pour une autre affection psychiatrique) que chez les enfants recevant un placebo. La FDA estime que même pour les antidépresseurs pour lesquels on ne dispose pas d’études cliniques réalisées chez les enfants et les adolescents, un tel risque ne peut être exclu.

Pour de multiples raisons, il est difficile d’établir un lien de cause à effet entre un traitement antidépresseur et des tendances suicidaires: la dépression elle-même est associée à un risque accru de suicide; les tendances suicidaires et certainement les suicides, restent rares; les patients avec un risque élevé de suicide sont souvent exclus des études cliniques.

Comment les antidépresseurs pourraient-ils augmenter les tendances suicidaires? On sait que tous les antidépresseurs, surtout au début du traitement, peuvent provoquer des effets indésirables tels agitation, anxiété, insomnie et comportement agressif. Selon certains, ceci pourrait mener à une aggravation de la dépression, et provoquer des tendances suicidaires. Une autre explication, déjà mentionnée dans les Folia de janvier 2004 , est que l’augmentation des tendances suicidaires serait plutôt un effet indirect des antidépresseurs: l’amélioration de la dépression peut avoir comme conséquence que la personne éprouve son désespoir de manière encore plus intense, ou revit encore plus intensément un traumatisme psychique antérieur.


Quelle est la place des antidépresseurs dans le traitement de la dépression chez les enfants et les adolescents?

L’efficacité d’un traitement psychothérapeutique, p.ex. une thérapie comportementale cognitive, a été démontrée chez les enfants et les adolescents atteints d’une dépression légère à modérée; c’est le traitement de premier choix mais les possibilités d’accès à un tel traitement sont malheureusement insuffisantes. On ne dispose cependant pas de beaucoup de données en ce qui concerne l’efficacité d’une psychothérapie chez les enfants et les adolescents atteints d’une dépression sévère.

Pour aucun antidépresseur, il n’existe actuellement de preuves suffisantes d’une efficacité chez les enfants et les adolescents souffrant de dépression. Dans certains cas graves, un traitement médicamenteux peut cependant paraître nécessaire, bien qu’il s’agisse alors d’une utilisation en dehors des indications acceptées. L’instauration et le suivi d’un tel traitement ne peut se faire que par des médecins ayant de l’expérience dans ce domaine, et nécessite un suivi et une évaluation continus (entre autres en ce qui concerne l’apparition d’effets indésirables tels agitation) ainsi qu’un accompagnement psychothérapeutique. Les données disponibles ne permettent pas de faire un choix parmi les antidépresseurs: pour aucun antidépresseur, un risque accru de tendances suicidaires et d’automutilation ne peut être exclu. Avec les antidépresseurs tricycliques, il existe en outre un risque d’effets indésirables cardiaques, surtout à des doses trop élevées, mais quelques cas de mort subite chez l’enfant ont également été décrits à des doses thérapeutiques normales en l’absence d’anomalie cardiaque.

Les auteurs des articles et des commentaires plaident en faveur d’études indépendantes sur l’efficacité des antidépresseurs et des traitements non médicamenteux chez les enfants et les adolescents.


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