Guide du KCE sur le traitement des douleurs lombaires et commentaire sur la place des analgésiques opioïdes

Les douleurs lombaires sans pathologies sévères sous-jacentes disparaissent généralement spontanément. D’après le guide récent n° 287Bs1 du KCE, le traitement des douleurs lombaires repose en premier lieu sur des interventions non pharmacologiques, encourageant l’exercice physique. La directive du KCE traite principalement de la prévention d’une évolution vers des douleurs lombaires chroniques, par une mobilisation rapide dans les limites de la douleur. Une prise en charge médicamenteuse n’est recommandée qu’en deuxième intention et est réservée au traitement de courte durée des douleurs lombaires. Le guide du KCE retient comme premier choix les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou, en cas d’intolérance aux AINS, un opioïde peu puissant (appelé auparavant “analgésique morphinique”) éventuellement combiné au paracétamol. Selon le KCE, le paracétamol en monothérapie n’est pas suffisamment efficace dans les douleurs lombaires chez la plupart des patients, mais constitue parfois la seule option chez les patients (souvent plus âgés) chez qui les AINS et les opioïdes sont contre-indiqués.
Le CBIP partage les conclusions générales du rapport et constate qu’il existe actuellement peu de preuves sur l’utilisation d’analgésiques dans le traitement des douleurs lombaires, ou que leur rapport bénéfice/risque est souvent négatif. Dans l’ensemble du groupe de patients souffrant de douleurs lombaires, aucune efficacité n’a pu être constatée avec le paracétamol [voir Folia d'octobre 2014]. D’autre part, tant la place des AINS que des opioïdes dans le traitement des douleurs lombaires est limitée et/ou ne peut être justifiée que pour un traitement de courte durée, compte tenu de leurs effets indésirables. L’association fixe de paracétamol + tramadol n’a pas de sens.

Le KCE, Centre fédéral d’expertise des soins de santé, a publié en mai 2017 un "guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculairesa".1 Avec ce guide, le KCE souligne l’importance de la démédicalisation des douleurs lombaires et radiculaires sans pathologies sévères sous-jacentes. Des interventions médicamenteuses ne sont pas systématiquement recommandées : la prise en charge consiste tout d’abord à rassurer, encourager à effectuer des exercices et à reprendre le plus vite possible une activité normale. Les diverses interventions non médicamenteuses sont exposées en détail, et reposent essentiellement sur une démarche d’autogestion, qui consiste à apprendre à gérer soi-même la douleur, notamment en adaptant son style de vie (approche biopsychosociale). Lorsque des médicaments s’avèrent nécessaires, le premier choix en cas de douleurs lombaires aiguës et chroniques est un traitement de courte durée par un AINS. Les preuves étayant cette recommandation sont plutôt faibles, ce qui n’est pas sans importance vu le risque d’effets indésirables. Il n’est pas prouvé que les analgésiques opioïdes (appelés auparavant “analgésiques morphiniques”) soient efficaces en cas de douleurs lombaires aiguës ou chroniques. Pourtant, selon l’opinion d’experts basée sur un consensus au sein du KCE, un opioïde peu puissant (tramadol ou codéine), éventuellement combiné au paracétamol, peut être envisagé comme deuxième choix pour un traitement très court chez le patient souffrant de douleurs lombaires aiguës et intolérant aux AINS. Selon le KCE, le paracétamol en monothérapie n’est pas suffisamment efficace chez la plupart des patients souffrant de douleurs lombaires, mais il est parfois la seule option chez les patients (souvent plus âgés) chez qui les AINS et les opioïdes sont contre-indiqués.

Le KCE estime que les antidépresseurs n’ont pas de place dans les douleurs lombaires aiguës. Seulement dans certaines formes de douleurs lombaires chroniques, les antidépresseurs tricycliques (ATC) et les inhibiteurs non sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ont une place limitée. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ne sont pas efficaces dans les douleurs lombaires chroniques.

Les antiépileptiques ne peuvent être proposés selon le KCE que dans le traitement des personnes atteintes de douleurs lombaires avec une composante neuropathique. Quant aux myorelaxants, ils n’ont aucune place dans les douleurs lombaires d’après le KCE.

Commentaire

  • Le CBIP partage les conclusions générales du guide du KCE concernant l’efficacité des interventions médicamenteuses dans les douleurs lombaires : il existe en effet étonnamment peu d’études contrôlées sur cette pathologie pourtant si fréquente. A côté des preuves d’efficacité, il faut aussi tenir compte du profil d’innocuité de ces interventions médicamenteuses ; celui du paracétamol est bien évidemment nettement meilleur que celui des AINS ou des opioïdes. Dans le cas des douleurs lombaires non compliquées, l’accent est mis sur l’approche non médicamenteuse.

  • A l'heure actuelle, il y a peu de preuves quant à l'utilisation d'analgésiques dans le traitement des douleurs lombaires et/ou leur rapport bénéfice/risque est souvent défavorable, en particulier dans le cas de douleurs lombaires chroniques. Le paracétamol n'est pas suffisamment efficace dans les groupes hétérogènes de patients souffrant de douleurs lombaires aiguës et chroniques, comme le révèle une méta-analyse2. Il convient de noter que cette méta-analyse se base uniquement sur 3 études sur les douleurs lombaires, dont l’étude PACE [voir Folia d'octobre 2014]. Les AINS peuvent induire une analgésie légère à court terme mais le risque d’effets indésirables doit être bien évalué [voir les Folia de novembre 2016]. Les opioïdes ne constituent pas un premier choix de traitement des douleurs lombaires aiguës; ils ont seulement une place dans les pathologies sévères en raison du risque d’effets indésirables et de dépendance. Dans le cas des douleurs lombaires chroniques, il n’y a pas suffisamment de preuves que l’utilisation prolongée d’opioïdes permette d’améliorer à long terme le contrôle de la douleur chronique, ni la fonction physique [voir les Folia de septembre 2016]

  • Les antiépileptiques, la prégabaline et la gabapentine, qui sont parfois utilisés off-label dans les douleurs lombaires chroniques, ne constituent pas une alternative bien fondée aux analgésiques classiques ou aux opioïdes car leur efficacité dans les douleurs lombaires n’est pas suffisamment étayée par des études de bonne qualité. Dans une étude récente, bien menée et contrôlée par placebo, publiée dans le New England Journal of Medicine, les données, bien que limitées, montrent que la prégabaline n’est pas efficace dans les douleurs radiculaires aiguës ou chroniques.3 Les données nationales en matière de prescription aux Etats-Unis révèlent toutefois que les antiépileptiques gabapentine et prégabaline sont de plus en plus prescrits (usage off-label) dans de nombreuses formes de douleurs. Ces antiépileptiques peuvent avoir une place limitée chez certains patients atteints de douleurs avec une composante neuropathique, mais des études plus approfondies sont nécessaires pour déterminer leur place exacte dans le traitement des douleurs lombaires.4

  • Certains antidépresseurs tricycliques et la duloxétine (voir 10.3. Antidépresseurs) sont également utilisés dans la douleur neuropathique chronique [voir Fiche de transparence “Douleurs neuropathiques”].
     

Note : commentaire concernant les chiffres sur la consommation d’opioïdes

La consommation croissante des opioïdes, dans le monde entier, incite à la réflexion. En particulier aux Etats-Unis, on s’intéresse actuellement de près au problème de la dépendance et de la mortalité due aux opioïdes.5 Dans les Folia de septembre 2016, nous écrivions que les chiffres sur la consommation d’opioïdes dans notre pays sont difficiles à interpréter vu qu’on ignore dans quelle proportion ils sont utilisés dans les douleurs non cancéreuses. A ce sujet, il est intéressant de noter qu’un rapport a été publié aux Pays-Bas, concernant la prescription d’opioïdes dans la pratique de médecine générale néerlandaise, par le Nederlands instituut voor onderzoek van de gezondheidszorg (NIVEL)6. Il en ressort une forte augmentation du nombre de prescriptions pour des opioïdes entre 2005 et 2015, principalement chez les personnes âgées (75 ans et plus). Cette augmentation s’explique par le nombre croissant de prescriptions pour les maux de dos, de cou et d'épaules, non pas pour les douleurs cancéreuses. On rapporte un nombre sextuplé de prescriptions d’opioïdes puissants, la plus forte augmentation concernait l’oxycodone. Les opioïdes peu puissants sont les plus fréquemment prescrits et leur nombre a doublé, le tramadol étant le plus fréquemment prescrit. La forte consommation de tramadol pourrait notamment s’expliquer par l’augmentation des douleurs chroniques dans une population vieillissante. Aux Etats-Unis aussi, le tramadol est de plus en plus fréquemment prescrit. Il a été suggéré que ceci pourrait être lié à la promotion commerciale intensive de ce médicament, ainsi qu’à la perception selon laquelle le tramadol rend moins dépendant, ce qui ne reflète pas la réalité.7

Les chiffres du NIVEL révèlent également que l’association de tramadol + paracétamol est de plus en plus souvent prescrite. L'association fixe de paracétamol + tramadol n’a pourtant pas beaucoup de sens: le tramadol est difficile à doser sous cette forme et les deux constituants ont une demi-vie très différente.


Notes de pied de page

a La douleur radiculaire est une douleur irradiante avec une distribution dermatomique dans les membres inférieurs, provoquée par la stimulation d'un nerf à l’endroit où il sort de la moelle épinière, p.ex. sciatique.

Sources spécifiques

1 KCE Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. 19/05/2017 https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_287B_Douleurs_lombaires_et_radiculaires_Resume.pdf Le rapport en Anglais https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_287_Low_back_pain_Report_2.pdf
2 Machado GC, Maher CG, Ferreira PH, et al. Efficacy and safety of paracetamol for spinal pain and osteoarthritis: systematic review and meta-analysis of randomised placebo controlled trials. BMJ 2015; 350:h1225; doi: 10.1136/bmj.h1225
3 Mathieson S, Maher CG, McLachlan AJ, et al. Trial of pregabalin for acute and chronic sciatica. N Engl J Med 2017; 376:1111-20.
4 Goodman CW, Brett AS.  Gabapentin and pregabalin for pain – is increased prescribing a cause for concern? N Engl J Med  2017; 377; 411-412. doi: 10.1056/NEJMp1704633
5 Volkow ND, Collins FS. N Engl J Med. 2017 [Epub ahead of print] The Role of Science in Addressing the Opioid Crisis. doi: 10.1056/NEJMsr1706626.
6 NIVEL rapport: Voorschrijven van opioïden in de huisartsenpraktijk. https://www.nivel.nl/sites/default/files/bestanden/Rapport_voorschrijven_opioiden.pdf 
7 Lewis SN, David NJ. JAMA Intern Med. 2015;175(2):194-195. Tramadol and Hypoglycemia – One more thing to worry about. doi: 10.1001/jamainternmed.2014.5260