Comparaisons entre les antagonistes de la vitamine K et les AOD, et entre les différents AOD

Il n’y a pas encore de consensus au sujet de l’anticoagulant oral à privilégier. Depuis l'introduction des anticoagulants oraux directs (AOD), aucune nouvelle étude randomisée de grande envergure n'a été menée pour comparer directement les antagonistes de la vitamine K aux AOD. S’appuyant sur le recul d’utilisation, des données issues d’études observationnelles et de comparaisons indirectes, des affirmations sont régulièrement faites concernant le choix entre les antagonistes de la vitamine K et les AOD, qui penchent souvent en faveur des AOD, ou concernant l’AOD à privilégier.
Le CBIP estime que les données issues d’études observationnelles et de comparaisons indirectes doivent être interprétées avec prudence. Pour nombre de patients débutant un traitement anticoagulant de longue durée, les antagonistes de la vitamine K restent un bon premier choix. Les AOD peuvent être envisagés comme alternative pour des raisons pratiques ou dans le cadre des traitements plus courts. Il n’y a pas suffisamment d’arguments scientifiques pour privilégier un AOD par rapport à un autre.

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Patients atteints de fibrillation auriculaire

Dans un article de synthèse de mars 2019, la rédaction de La Revue Prescrire revoit son avis sur le traitement anticoagulant chez les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA)1. La warfarine reste l’anticoagulant oral de référence, mais l’apixaban est désormais avancé comme une alternative acceptable en l’absence d’atteinte valvulaire sévère, d’insuffisance rénale grave ou de maladie ou traitement qui augmente les risques hémorragiques. La rédaction s’appuie pour cela sur les éléments suivants:

  • Le recul d’utilisation des anticoagulants oraux directs (AOD) de ces dernières années.

  • Les données d’études observationnelles “en situation réelle”, contexte qui correspondrait mieux à la pratique clinique quotidienne que l’environnement fortement contrôlé d’une RCT.

  • Les données venant de comparaisons indirectes entre les différents AOD.

Dans le rapport du jury de la réunion de consensus de l’INAMI de 2017, une légère préférence est accordée aux AOD pour le traitement anticoagulant oral en cas de FA2. Dans ce rapport, il est également précisé que les données scientifiques disponibles ne justifient pas de privilégier un AOD en particulier par rapport aux autres, mais que certains facteurs cliniques peuvent tout de même influencer le choix (préférence pour l’apixaban chez les patients à haut risque d’hémorragies gastro-intestinales et en cas d’insuffisance rénale modérée, prudence avec le dabigatran chez les personnes âgées et chez les patients à risque coronarien). Ceci a probablement également influencé le processus décisionnel de la rédaction de La Revue Prescrire. Les guides de pratique clinique internationaux en matière de cardiologie expriment une préférence marquée pour les AOD par rapport aux antagonistes de la vitamine K, principalement en raison de la facilité d’utilisation et du risque hémorragique plus faible, sans privilégier un AOD en particulier3,4.

Traitement de la thromboembolie veineuse

Concernant le traitement de la thromboembolie veineuse, on dispose également de données issues d’études observationnelles "en situation réelle" et de comparaisons indirectes, et les AOD bénéficient d’un certain recul d’utilisation dans ce contexte.
S’appuyant sur des comparaisons indirectes, des méta-analyses en réseau ont déjà signalé que l’apixaban pourrait être associé à un risque hémorragique plus faible que le rivaroxaban5.  Dans une grande étude de cohorte rétrospective américaine qui s’appuyait sur des données d’organismes assureurs, publiée en janvier 2019, l’apixaban s’avérait également supérieur au rivaroxaban dans la prévention de la thromboembolie veineuse récidivante6. Ceci n’a pas été confirmé dans une petite étude observationnelle prospective7, publiée en juillet 2019, et dans une méta-analyse d’études observationnelles "en situation réelle"8, publiée en août 2019. Dans cette indication, la rédaction de La Revue Prescrire ne modifie pas (encore) son avis et continue à privilégier un antagoniste de la vitamine K (après un traitement initial par HBPM)9.
Malgré leur coût plus élevé, le rapport du jury de la réunion de consensus de l’INAMI de 2017 marque une préférence pour les AOD dans le traitement de la thromboembolie veineuse (préférence plus marquée que dans l’indication de FA)2. Il s’appuie pour cela sur la non-infériorité des AOD par rapport à la warfarine, le risque hémorragique plus faible et la plus grande facilité d’utilisation. Les données scientifiques disponibles ne permettent pas, selon le rapport du jury, de privilégier un AOD par rapport à un autre dans cette indication. Les guides de pratique clinique internationaux en matière de cardiologie expriment une préférence marquée pour les AOD par rapport aux antagonistes de la vitamine K, principalement en raison de la facilité d’utilisation et du risque hémorragique plus faible, sans privilégier un AOD en particulier10,11.

Avis du CBIP

Depuis l’introduction des AOD, aucune nouvelle étude randomisée de grande envergure n’a été menée pour comparer les AOD avec les antagonistes de la vitamine K. Si le recul d’utilisation est aujourd’hui assez grand, de nombreuses préoccupations subsistent au sujet des AOD.

  • Impossibilité de suivre l’effet anticoagulant.

  • On ne dispose pas encore d’antidotes pour tous les AOD.

  • La durée d’action des AOD est plus courte (ce qui peut causer des problèmes en cas d’observance thérapeutique réduite).

  • Même avec les AOD, des interactions médicamenteuses sont possibles.

  • Coût élevé des AOD.

Nous devons rester prudents lorsque nous interprétons les données issues d’études observationnelles et de comparaisons indirectes. À l’instar de la rédaction de La Revue Prescrire, le CBIP estime que les antagonistes de la vitamine K restent un bon premier choix pour de nombreux patients débutant un nouveau traitement anticoagulant de longue durée (voir les Folia de janvier 2017), en particulier pour les patients qui tirent un grand bénéfice du suivi régulier de l’effet anticoagulant. Les AOD peuvent constituer une alternative, pour des raisons pratiques, dans les traitements plus courts (comme dans la thromboembolie veineuse), chez les patients dont l’INR est difficile à stabiliser ou qui acceptent mal les contraintes liées à la surveillance de l’INR. Si l’on opte pour un AOD, les données disponibles actuellement ne permettent pas d’avancer un AOD spécifique comme premier choix; des études comparatives directes sont nécessaires à cet effet.

Sources spécifiques

1 Rédaction Prescrire. Anticoagulant oral dans la fibrillation auriculaire. Rev Prescr 2019;39:194-205.
2 INAMI. L'usage rationnel des anticoagulants oraux (directs (AOD) ou antagonistes de la vitamine K (AVK)) en cas de fibrillation auriculaire (prévention thromboembolique) et en cas de thromboembolie veineuse (traitement et prévention secondaire). Rapport du jury Réunion de consensus 30 novembre 2017. https://www.riziv.fgov.be/SiteCollectionDocuments/consensus_texte_long_20171130.pdf
3 2019 AHA/ACC/HRS focused update of the 2014 AHA/ACC/HRS guideline for the management of patients with atrial fibrillation. Circulation 2019;140: e125-51. doi: 10.1161/CIR.0000000000000665
4 2016 ESC guidelines or the management of atrial fibrillation developed in collaboration with EACTS. Eur Heart J 2016;37:2893-962. doi: 10.1093/eurheartj/ehw210
5 Frere C, Farge D. The best direct-acting oral anticoagulant for treatment of venous thromboembolism? Lancet Haematol 2019;6:e4-5. doi: 10.1016/S2352-3026(18)30211-4
6 Dawwas GK, Brown J, Dietrich E, Park H. Effectiveness and safety of apixaban versus rivaroxaban for prevention of recurrent venous thromboembolism and adverse bleeding events in patients with venous thromboembolism: a retrospective population-based cohort analysis. Lancet Haematol 2019;6:e20-8. doi: 10.1016/S2352-3026(18)30191-1
7 Bott-Kitslaar DM, McBane RD, Casanegra AI, Houghton DE, Froehling DA et al. Apixaban and rivaroxaban in patients with acute venous thromboembolism. Mayo Clin Proc 2019;94;1242-52. doi: 10.1016/j.mayocp.2018.09.022
8 Aryal MR, Gosain R, Donato A, Yu H, Katel A et al. Systematic review and meta-analysis of the efficacy and safety of apixaban compared to rivaroxaban in acute VTE in the real world.  Blood Adv 2019;3:2381-7. doi: 10.1182/bloodadvances2019000572
9 Rédaction Prescrire. Thrombose veineuse profonde d’un membre inférieur. Premiers Choix Prescrire. Actualisation novembre 2018. https://www.prescrire.org/Fr/139/569/0/0/About.aspx
10 2019 ESC guidelines for the diagnosis and management of acute pulmonary embolism developed in collaboration with the European Respiratory Society (ERS). Eur Heart J 2019 Epub ahead of print. doi: 10.1093/eurheartj/ehz405
11 Antithrombotic therapy for VTE disease: CHEST guideline and expert panel report. Chest 2016;149:315-52. doi: 10.1016/j.chest.2015.11.026