La prise en charge de la sécheresse oculaire

La sécheresse oculaire est une affection très fréquente, dont les symptômes sont en général très évocateurs. La recherche d’une maladie sous-jacente ou une cause environnementale ou médicamenteuse est importante. Le traitement est symptomatique et le choix des larmes artificielles est empirique. Il n’est pas possible de faire un premier choix de traitement parmi les nombreuses préparations sur le marché, car il n’existe pas d’études de bonne qualité comparant la supériorité relative d’un produit par rapport aux autres ou par rapport à un placebo. La place des compléments alimentaires à base d’acides gras n’est pas claire. Il est important de référer le patient lorsque le traitement est inefficace, en cas de symptômes sévères, de rougeur dans l’œil ou de signes de lésions au niveau de la cornée.

Introduction

Selon le "Tear Film & Ocular Surface Society" (TFOS), la sécheresse oculaire est "une maladie multifactorielle de la surface oculaire caractérisée par une perte de l’homéostasie du film lacrymal et accompagnée de symptômes oculaires, dans laquelle l’instabilité et l’hyperosmolarité du film lacrymal, l’inflammation et les lésions de la surface oculaire ainsi que des anomalies neurosensorielles jouent des rôles étiologiques".1
Les symptômes sont en général très évocateurs et souvent, les deux yeux sont atteints.

Les symptômes d’une sécheresse oculaire sont une sensation de brûlure, de fatigue, de picotements, de démangeaisons, de pesanteur et/ou de sable/grains dans l’œil. Parfois aussi photophobie, paupières qui collent, diminution de la vue et production excessive de larmes, entraînant un larmoiement.2,3,5


Causes

Il faut envisager une maladie sous-jacente ou une cause environnementale ou médicamenteuse. La sécheresse oculaire peut être due à une diminution de la production du film lacrymal ou une diminution de la qualité du film lacrymal, qui par conséquence s’évapore plus vite. L’origine est souvent multifactorielle.1-4 Elle peut être due à1-5

  • un problème oculaire: p.ex. obstruction des conduits des glandes lacrymales, dysfonctionnement des glandes de Meibomius, involution de la glande lacrymale (en cas d’âge avancé), surface de la cornée irrégulière (répartition irrégulière du film lacrymal), traitement oculaire au laser.

  • des facteurs externes: p.ex. lentilles de contact, air sec, courants d’air, exposition solaire sans protection des yeux, allergie, fumée de cigarette, diminution du clignement des yeux due à une lecture prolongée ou un travail sur écran.

  • la prise de médicaments.

    anticholinergiques, antipsychotiques, antidépresseurs, β-bloquants, antihistaminiques oraux, cytostatiques, acide acétylsalicylique, toxine botulique A, isotrétinoïne, risédronate, certains antiviraux, prégabaline, topiramate, certaines gouttes oculaires antihistaminiques ou contre le glaucome. Certains conservateurs de gouttes oculaires peuvent aussi provoquer ou exacerber une sécheresse oculaire [voir Répertoire chapitre 16].
  • une maladie systémique sous-jacente.

    maladies auto-immunitaires (maladie de Sjögren, arthrite rhumatoïde, maladie de Graves, sarcoïdose, lupus érythémateux systémique), diabète.
  • une déficience en vitamine A.

  • des changements hormonaux (ménopause, déficit androgénique).


Prise en charge

La prise en charge de la sécheresse oculaire est complexe en raison de son étiologie multifactorielle. En première ligne, la prise en charge consiste à:

  • proposer un traitement symptomatique de la sécheresse oculaire (voir plus loin)

  • rechercher une cause médicamenteuse ou externe (voir plus haut) et traiter si possible

  • détecter une éventuelle maladie sous-jacente

  • référer le patient si nécessaire.2-5

    Il convient de référer le patient à un ophtalmologue:
    - si les symptômes persistent après 4 semaines de traitement ou si les symptômes sont sévères (douleurs, photophobie, rougeur marquée, diminution de l’acuité visuelle).
    - en cas de baisse de la vision ou de l’acuité visuelle, de rougeur dans l’œil ou tout autre signe d’un dommage à la cornée.
    - si le patient présente une malade systémique ou auto-immune (référer au spécialiste adéquat).2-5

Le traitement des formes légères à modérées de la sécheresse oculaire est symptomatique et se fait par le biais d’agents topiques hydratants (larmes artificielles). Le but est d’augmenter la quantité de larmes à la surface de l’œil ou de diminuer l’évaporation du film lacrymal en stabilisant la couche lipidique du film lacrymal.3 Le choix parmi les larmes artificielles est empirique car il n’existe pas d’études de bonne qualité comparant la supériorité relative d’un produit par rapport aux autres ou par rapport à un placebo. Il ne semble pas y avoir de différence notable dans leur efficacité.6 Toutefois, les différences de viscosité des gouttes peuvent influencer leur utilisation.4,5

  • En cas de symptômes légers à modérés, le National Institute for Care Excellence (NICE)3 recommande de commencer avec des préparations peu visqueuses (p.ex. à base d’hypromellose).

  • En cas d’inefficacité ou lorsque la fréquence d’application est trop grande, on peut se tourner vers des produits plus visqueux (p.ex. gels à base de carbomères) ou contenant des lipides.

    Différentes huiles, telles que les huiles minérales et les phospholipides, sont incorporées dans les formulations de larmes artificielles, sous forme d’émulsion, pour aider à restaurer la couche lipidique du film lacrymal.1
  • Les onguents sont à réserver pour les symptômes sévères et sont à appliquer de préférence avant le coucher.

  • Les gels et les onguents, dont la viscosité est plus élevée que les gouttes, provoquent plus facilement des effets indésirables (vue trouble, picotements).3,4

L’utilisation de préparations sans conservateurs est conseillée dans les cas suivants:

  • si les gouttes oculaires doivent être appliquées plus de 4 fois par jour ou en cas d’utilisation d’autres gouttes oculaires contenant un conservateur, pour ne pas accumuler de conservateurs dans l’œil, qui sont allergènes et irritants.

  • en cas d’aggravation des symptômes avec un produit contenant un conservateur.

  • en cas de portage de lentilles de contact souples.4


Il n’est pas clair si les compléments alimentaires à base d’acides gras polyinsaturés peuvent améliorer la sécheresse oculaire (en augmentant le caractère lipidique du film lacrymal et en diminuant l’inflammation).3,4
Il n’est pas conseillé d’administrer des gouttes anti-inflammatoires (AINS ou corticostéroïdes) sans l’avis d’un ophtalmologue. Leur usage est limité par leurs effets indésirables.3,4

Conclusion

Le traitement des formes légères à modérées de la sécheresse oculaire est essentiellement symptomatique et consiste à appliquer des agents hydratants et à écarter les facteurs aggravants. Le choix du type de larmes artificielles est souvent empirique, étant donné qu’il n’existe pas d’études de bonne qualité comparant la supériorité relative d’un produit par rapport aux autres ou par rapport à un placebo. Il convient également de tenir compte du prix, souvent élevé, des différentes formulations disponibles et de la dextérité du patient.

Sources spécifiques

1 Craig JP, et al. TFOS DEWS II Report Executive Summary, The Ocular Surface (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.jtos.2017.08.003
2 NHG-Standaard Rode oog en oogtrauma (Standaard M57, december 2017). Via https://www.nhg.org/standaarden/samenvatting/het-rode-oog.
3 JA Clayton. Drye eye. New England Journal of Medicine, 2018;378:2212-23. doi: 10.1056/NEJMra1407936.
4 The management of dry eye. Drug and Therapeutics Bulletin, 2016;54:9-12. doi: 10.1136/dtb.2016.1.0378.
Syndrome de l’œil sec. Guide de pratique clinique étranger adapté au contexte belge. EBPracticeNet, 2019.  Via https://www.ebpnet.be/fr/pages/display.aspx?ebmid=ebm00809
6 AD Pucker, SM Ng, JJ Nichols. Over the counter (OTC) artificial tear drops for dry eye syndrome. Cochrane Database of Systematic Reviews, 2016; 2: CD009729. doi: 10.1002/14651858.CD009729.pub2.