En plus des modifications de l'hygiène de vie indispensables (sevrage tabagique, exercice physique, alimentation saine), le traitement des patients présentant un angor stable est avant tout médicamenteux. Le traitement médicamenteux optimal comporte un ou plusieurs médicaments anti-angoreux (un β-bloquant et/ou un antagoniste du calcium, qui apportent un bénéfice établi sur la morbidité et la mortalité, sont à privilégier ; les dérivés nitrés, la molsidomine et l'ivabradine ont une place plus limitée), de l'acide acétylsalicylique, une statine et éventuellement un IECA ou un sartan (voir Répertoire Chapitre 1.2.). En outre, des traitements invasifs (par pontage coronarien ou angioplastie coronaire transluminale percutanée (ACTP, avec stent)) peuvent avoir une place, toujours en complément du traitement médicamenteux1.
Dans plusieurs études et méta-analyses réalisées au cours des dernières décennies, une prise en charge invasive initiale (suivie d’un traitement médicamenteux) avait seulement été associée à un léger bénéfice en termes de contrôle symptomatique, en comparaison avec un traitement médicamenteux seul, sans aucun bénéfice en termes de morbidité et de mortalité2,3. Un grand nombre de ces études datent d'il y a quelques années et, depuis lors, les techniques chirurgicales et les procédures interventionnelles ont évolué, tout comme la prise en charge médicamenteuse. L'incertitude persistait donc sur la place d'une approche invasive initiale chez les patients avec un angor stable. Une étude randomisée de taille suffisante avec les techniques invasives actuelles et un traitement médicamenteux optimal selon les guides de pratique en vigueur s'imposait dès lors.
Les résultats longtemps attendus de cette étude (ISCHEMIA) ont été publiés au printemps 20204,5. L’étude ne démontre aucun bénéfice d'une stratégie invasive initiale (suivie d'un traitement médicamenteux optimal) par rapport à une approche conservatrice initiale avec un traitement médicamenteux seul (et une intervention uniquement en cas de contrôle insuffisant des symptômes) sur le critère d'évaluation primaire composite de morbidité et de mortalité cardio-vasculaire. Dans les 6 premiers mois après l'inclusion, il y avait plus d'évènements cardio-vasculaires dans le groupe ayant bénéficié du traitement invasif par rapport au groupe sous traitement conservateur. Ce fait est principalement attribuable à des évènements suite à la procédure invasive. Le rapport s'inverse au cours des années suivantes, avec moins d'évènements dans le groupe sous traitement invasif. Cependant, après un suivi médian de 3,2 ans, il n'y avait pas de différence significative entre les deux groupes. De même, il n'y avait pas de différence entre les deux groupes en termes de mortalité globale4.
Pour les symptômes de l'angor et la qualité de vie (critères d'évaluation secondaires, rapportés dans une publication séparée), une différence limitée, bien que statistiquement significative, a été démontrée en faveur du traitement invasif. La différence est la plus marquante dans les premiers mois après l'inclusion, mais elle diminue par la suite. Cette différence ne semble pas pertinente du point de vue clinique (bénéfice de 3 points par rapport au groupe témoin, sur une échelle de 0 à 100, après 3 ans). Chez les patients avec plus de plaintes d'angor au début de l'étude, l’amélioration de la qualité de vie est un peu plus prononcée (mais toujours seulement modérée : 5 points sur une échelle de 0 à 100) que chez les patients avec peu ou pas de plaintes au début de l'étude (guère d'amélioration de la qualité de vie)5.
Critère d'évaluation primaire (critère d'évaluation composite : mortalité cardio-vasculaire, infarctus du myocarde ou hospitalisation pour angor instable, insuffisance cardiaque ou réanimation pour arrêt cardiaque)4 | |||
invasif | conservateur | ||
Nombre d'évènements (suivi médian de 3,2 ans) |
318/2.588 | 352/2.591 | OR : 0,93 (IC à 95 % de 0,80 à 1,08) |
Incidence cumulative après 6 mois | 5,3 % | 3,4 % | Différence estimée : 1,9 (IC à 95 % de 0,8 à 3,0) |
Incidence cumulative après 5 ans | 16,4 % | 18,2 % | Différence estimée : -1,8 (IC à 95 % de -4,7 à 1,0) |
Mortalité globale (critère d'évaluation secondaire) | |||
Nombre d'évènements (suivi médian jusque 3,2 ans) |
145/2.588 | 144/2.591 | OR : 1,05 (IC à 95 % de 0,83 à 1,32) |
Plaintes d'angor, fonctionnement quotidien et qualité de vie, mesurés à l'aide du Seattle Angina Questionnaire (SAQ : score de 0 (très mauvaise qualité de vie) à 100 (excellente qualité de vie))5 | |
Effet estimé moyen du traitement après 6 mois (différence en score SAQ entre les deux groupes) :
|
4,4 (IC à 95 % de 3,5 à 5,3) 10,5 (IC à 95 % de 7,9 à 13,2) 5,1 (IC à 95 % de 3,7 à 6,4) 0,8 (IC à 95 % de -0,4 à 2,2) |
Effet estimé moyen du traitement après 3 ans (différence en score SAQ entre les deux groupes :
|
2,9 (IC à 95 % de 2,2 à 3,7) 5,3 (IC à 95 % de 3,4 à 7,5) 3,1 (IC à 95 % de 2,0 à 4,2) 1,2 (IC à 95 % de 0,2 à 2,2) |
Cette étude confirme que, chez des patients avec un angor stable, une prise en charge invasive immédiate, suivie d'un traitement médicamenteux optimal, n'apporte pas de plus-value en termes de morbidité et de mortalité par rapport à une prise en charge conservatrice initiale avec uniquement un traitement médicamenteux optimal. Une prise en charge expectative, avec un traitement médicamenteux optimal et une intervention seulement en cas de contrôle insuffisant des symptômes, semble donc justifiée chez la plupart des patients, car équivalente au traitement invasif immédiat. Pour les patients présentant de nombreuses plaintes (avec un impact considérable sur la qualité de vie), un traitement invasif précoce peut avoir une influence favorable sur les plaintes (mais pas sur la survie).
Une confirmation de plus qu'un traitement médicamenteux optimal doit être la prise en charge primaire de l'angor stable, sans oublier les modifications non médicamenteuses de l'hygiène de vie.
1 European Society of Cardiology. 2019 ESC Guidelines for the diagnosis and management of chronic coronary syndromes. Eur Heart J. 2020;41:407-77. doi:10.1093/eurheartj/ehz425
2 Boden WE, O’Rourke RA, Teo KK, Hartigan PM, Maron DJ et al. Optimal medical therapy with or without PCI for stable coronary disease. N Engl J Med. 2007;356:1503-16. doi: 10.1056/NEJMoa070829
3 Chevalier P. Angor stable : traitement médical ou invasif ? Quel type d'endoprothèse coronaire ? Données récentes Minerva. Analyses brèves 15/09/2017. http://minerva-ebm.be/FR/Analysis/514
4 Maron DJ, Hochman JS, Reynolds HR, Bangalore S, O’Brien SM et al. Initial invasive or conservative strategy for stable coronary disease. N Engl J Med. 2020;382:1395-1407. doi: 10.1056/NEJMoa1915922
5 Spertus JA, Jones PG, Maron DJ, O’Brien SM, Reynolds HR et al. Health-status outcomes with invasive or conservative care in coronary disease. N Engl J Med. 2020;382:1408-19. doi: 10.1056/NEJMoa1916370