Angor stable : pas de bénéfice d'une prise en charge interventionnelle immédiate par rapport au traitement médicamenteux

Ces dernières décennies, plusieurs études et méta-analyses portant sur des patients présentant un angor stable ont démontré un contrôle des symptômes quelque peu meilleur avec une prise en charge invasive immédiate (suivie d'un traitement médicamenteux) par rapport à un traitement médicamenteux seul, mais sans bénéfice en termes de morbidité et de mortalité.
L'étude ISCHEMIA le confirme. Cette étude randomisée à grande échelle prend en considération les techniques invasives actuelles et un traitement médicamenteux optimal selon les guides de pratique en vigueur. Après un suivi médian de 3,2 ans, il n'y avait pas de différence statistiquement significative en morbidité et mortalité cardio-vasculaire, ni en mortalité globale, entre une prise en charge invasive initiale (suivie d'un traitement médicamenteux optimal) et une prise en charge conservatrice initiale avec uniquement un traitement médicamenteux. Pour les symptômes de l'angor et la qualité de vie, une différence significative, mais limitée, a été démontrée en faveur du traitement invasif (3 points sur une échelle de 0 à 100).
Ces résultats confirment une fois de plus que la prise en charge primaire de l'angor stable doit comporter des modifications de l'hygiène de vie et un traitement médicamenteux optimal. Chez les patients présentant de nombreuses plaintes, un traitement invasif, en plus d'une prise en charge médicamenteuse optimale, peut avoir une influence favorable sur les plaintes.

En plus des modifications de l'hygiène de vie indispensables (sevrage tabagique, exercice physique, alimentation saine), le traitement des patients présentant un angor stable est avant tout médicamenteux. Le traitement médicamenteux optimal comporte un ou plusieurs médicaments anti-angoreux (un β-bloquant et/ou un antagoniste du calcium, qui apportent un bénéfice établi sur la morbidité et la mortalité, sont à privilégier ; les dérivés nitrés, la molsidomine et l'ivabradine ont une place plus limitée), de l'acide acétylsalicylique, une statine et éventuellement un IECA ou un sartan (voir Répertoire Chapitre 1.2.). En outre, des traitements invasifs (par pontage coronarien ou angioplastie coronaire transluminale percutanée (ACTP, avec stent)) peuvent avoir une place, toujours en complément du traitement médicamenteux1.
Dans plusieurs études et méta-analyses réalisées au cours des dernières décennies, une prise en charge invasive initiale (suivie d’un traitement médicamenteux) avait seulement été associée à un léger bénéfice en termes de contrôle symptomatique, en comparaison avec un traitement médicamenteux seul, sans aucun bénéfice en termes de morbidité et de mortalité2,3. Un grand nombre de ces études datent d'il y a quelques années et, depuis lors, les techniques chirurgicales et les procédures interventionnelles ont évolué, tout comme la prise en charge médicamenteuse. L'incertitude persistait donc sur la place d'une approche invasive initiale chez les patients avec un angor stable. Une étude randomisée de taille suffisante avec les techniques invasives actuelles et un traitement médicamenteux optimal selon les guides de pratique en vigueur s'imposait dès lors.

L'étude ISCHEMIA

Les résultats longtemps attendus de cette étude (ISCHEMIA) ont été publiés au printemps 20204,5. L’étude ne démontre aucun bénéfice d'une stratégie invasive initiale (suivie d'un traitement médicamenteux optimal) par rapport à une approche conservatrice initiale avec un traitement médicamenteux seul (et une intervention uniquement en cas de contrôle insuffisant des symptômes) sur le critère d'évaluation primaire composite de morbidité et de mortalité cardio-vasculaire. Dans les 6 premiers mois après l'inclusion, il y avait plus d'évènements cardio-vasculaires dans le groupe ayant bénéficié du traitement invasif par rapport au groupe sous traitement conservateur. Ce fait est principalement attribuable à des évènements suite à la procédure invasive. Le rapport s'inverse au cours des années suivantes, avec moins d'évènements dans le groupe sous traitement invasif. Cependant, après un suivi médian de 3,2 ans, il n'y avait pas de différence significative entre les deux groupes. De même, il n'y avait pas de différence entre les deux groupes en termes de mortalité globale4.
Pour les symptômes de l'angor et la qualité de vie (critères d'évaluation secondaires, rapportés dans une publication séparée), une différence limitée, bien que statistiquement significative, a été démontrée en faveur du traitement invasif. La différence est la plus marquante dans les premiers mois après l'inclusion, mais elle diminue par la suite. Cette différence ne semble pas pertinente du point de vue clinique (bénéfice de 3 points par rapport au groupe témoin, sur une échelle de 0 à 100, après 3 ans). Chez les patients avec plus de plaintes d'angor au début de l'étude, l’amélioration de la qualité de vie est un peu plus prononcée (mais toujours seulement modérée : 5 points sur une échelle de 0 à 100) que chez les patients avec peu ou pas de plaintes au début de l'étude (guère d'amélioration de la qualité de vie)5.

Étude randomisée et contrôlée (mise en aveugle impossible) incluant 5.179 patients avec un angor stable et une ischémie modérée à sévère lors des épreuves d'effort. L'âge moyen était de 64 ans et trois quarts des patients étaient des hommes. Quelque 20 % avaient déjà vécu un infarctus du myocarde aigu et environ un quart avait déjà bénéficié d'un traitement interventionnel pour une maladie coronarienne (pontage coronarien ou ACTP).
Les deux groupes ont reçu des conseils en matière d'hygiène de vie et un traitement médicamenteux optimal avec des objectifs thérapeutiques définis selon un algorithme écrit. Les patients du groupe interventionnel ont en outre bénéficié d'une angiographie dans les 30 jours après leur inclusion et si possible d'une revascularisation complète de tous les territoires atteints (79 % des patients ont bénéficié d'une revascularisation). Le choix de la technique de revascularisation a été laissé à la discrétion des médecins traitants (trois quarts des patients ont bénéficié d'une ACTP, un quart d'un pontage coronarien). Les patients du groupe sous traitement médicamenteux n'ont bénéficié d'une angiographie et éventuellement d'une intervention qu'en cas de contrôle insuffisant des symptômes sous traitement médicamenteux optimal (21 % des patients ont bénéficié d'une revascularisation au cours de l'étude).
 
Critère d'évaluation primaire (critère d'évaluation composite : mortalité cardio-vasculaire, infarctus du myocarde ou hospitalisation pour angor instable, insuffisance cardiaque ou réanimation pour arrêt cardiaque)4
  invasif conservateur  
   Nombre d'évènements
   (suivi médian de 3,2 ans)
318/2.588 352/2.591 OR : 0,93
(IC à 95 % de 0,80 à 1,08)
   Incidence cumulative après 6 mois 5,3 % 3,4 % Différence estimée : 1,9
(IC à 95 % de 0,8 à 3,0)
   Incidence cumulative après 5 ans 16,4 % 18,2 % Différence estimée : -1,8
(IC à 95 % de -4,7 à 1,0)
Mortalité globale (critère d'évaluation secondaire)
   Nombre d'évènements
   (suivi médian jusque 3,2 ans)
145/2.588 144/2.591 OR : 1,05
(IC à 95 % de 0,83 à 1,32)


Les plaintes d'angor, le fonctionnement quotidien et la qualité de vie ont été mesurés à l'aide du Seattle Angina Questionnaire (SAQ), qui donne un score sur une échelle allant de 0 (très mauvaise qualité de vie) à 100 (excellente qualité de vie). Le score SAQ moyen au début de l'étude était de 73,4 dans le groupe interventionnel et de 74,8 dans le groupe sous traitement médicamenteux. Les deux groupes ont présenté une augmentation des scores SAQ moyens jusque respectivement 88,6 et 86,3 après 3 ans. Cette augmentation était plus importante dans le groupe interventionnel au cours des premiers mois par rapport à une augmentation plus progressive tout au long de l'étude dans le groupe sous traitement médicamenteux. Pour l'ensemble de la population, les différences ne semblent guère pertinentes du point de vue clinique (3 points sur une échelle de 0 à 100). Les auteurs remarquent que dans des analyses en sous-groupes prédéfinis, le bénéfice sur l'échelle SAQ était plus important chez les patients présentant des symptômes d'angor quotidiens ou hebdomadaires au début de l'étude (environ 1/5 de la population étudiée). Il n'y avait guère de bénéfice chez les patients avec une cardiopathie ischémique stable connue, mais sans plaintes d'angor au début de l'étude5.
 
Plaintes d'angor, fonctionnement quotidien et qualité de vie, mesurés à l'aide du Seattle Angina Questionnaire (SAQ : score de 0 (très mauvaise qualité de vie) à 100 (excellente qualité de vie))5
Effet estimé moyen du traitement après 6 mois (différence en
score SAQ entre les deux groupes) :
  • tous les patients (4.617)

  • patients présentant des symptômes quotidiens ou
    hebdomadaires à l'inclusion (934)

  • patients présentant des symptômes mensuels à l'inclusion (2.043)

  • patients sans symptômes à l'inclusion (1.635)



4,4 (IC à 95 % de 3,5 à 5,3)
10,5 (IC à 95 % de 7,9 à 13,2)
 
5,1 (IC à 95 % de 3,7 à 6,4)
0,8 (IC à 95 % de -0,4 à 2,2)
Effet estimé moyen du traitement après 3 ans (différence en
score SAQ entre les deux groupes :
  • tous les patients (4.617)

  • patients présentant des symptômes quotidiens ou
    hebdomadaires à l'inclusion (934)

  • patients présentant des symptômes mensuels à l'inclusion (2.043)

  • patients sans symptômes à l'inclusion (1.635)



2,9 (IC à 95 % de 2,2 à 3,7)
5,3 (IC à 95 % de 3,4 à 7,5)
 
3,1 (IC à 95 % de 2,0 à 4,2)
1,2 (IC à 95 % de 0,2 à 2,2)

Commentaires du CBIP

Cette étude confirme que, chez des patients avec un angor stable, une prise en charge invasive immédiate, suivie d'un traitement médicamenteux optimal, n'apporte pas de plus-value en termes de morbidité et de mortalité par rapport à une prise en charge conservatrice initiale avec uniquement un traitement médicamenteux optimal. Une prise en charge expectative, avec un traitement médicamenteux optimal et une intervention seulement en cas de contrôle insuffisant des symptômes, semble donc justifiée chez la plupart des patients, car équivalente au traitement invasif immédiat. Pour les patients présentant de nombreuses plaintes (avec un impact considérable sur la qualité de vie), un traitement invasif précoce peut avoir une influence favorable sur les plaintes (mais pas sur la survie).
Une confirmation de plus qu'un traitement médicamenteux optimal doit être la prise en charge primaire de l'angor stable, sans oublier les modifications non médicamenteuses de l'hygiène de vie.


Sources

European Society of Cardiology. 2019 ESC Guidelines for the diagnosis and management of chronic coronary syndromes. Eur Heart J. 2020;41:407-77. doi:10.1093/eurheartj/ehz425
Boden WE, O’Rourke RA, Teo KK, Hartigan PM, Maron DJ et al. Optimal medical therapy with or without PCI for stable coronary disease. N Engl J Med. 2007;356:1503-16. doi: 10.1056/NEJMoa070829
3 Chevalier P. Angor stable : traitement médical ou invasif ? Quel type d'endoprothèse coronaire ? Données récentes Minerva. Analyses brèves 15/09/2017. http://minerva-ebm.be/FR/Analysis/514
4 Maron DJ, Hochman JS, Reynolds HR, Bangalore S, O’Brien SM et al. Initial invasive or conservative strategy for stable coronary disease. N Engl J Med. 2020;382:1395-1407. doi: 10.1056/NEJMoa1915922
5 Spertus JA, Jones PG, Maron DJ, O’Brien SM, Reynolds HR et al. Health-status outcomes with invasive or conservative care in coronary disease. N Engl J Med. 2020;382:1408-19. doi: 10.1056/NEJMoa1916370