Vaccination des patients immunodéficients: à quoi faut-il faire attention ? (Mis à jour le 24/05/22)

Un avis du Conseil Supérieur de la Santé (CSS) aborde divers aspects de la vaccination dans des situations d'immunosuppression. La décision de vacciner ces patients et toutes les modalités à ce sujet relèvent souvent du domaine du spécialiste. Le présent article éclaire quelques points auxquels il convient de faire attention.
  • Patients sous immunosuppresseurs : effectuer si possible les vaccinations avant le début de l'immunosuppression. Dans le cas des vaccins vivants, au moins 4 semaines avant ; pour les vaccins non vivants, au moins 2 semaines avant. La vaccination avec des vaccins vivants est contre-indiquée en cas d'immunodéficience ou d'immunosuppression. La vaccination avec des vaccins non vivants est sûre, mais la réponse immunitaire peut être réduite.

  • Nourrissons ayant été exposés in utero à des agents biologiques (anticorps monoclonaux : inhibiteurs du TNF, antagonistes des interleukines): si l'agent biologique a été poursuivi après la 22e  semaine de grossesse, la vaccination avec des vaccins vivants doit être reportée après l'âge de 6 mois.

  • Les enfants allaités par des mères traitées avec des anticorps monoclonaux peuvent être vaccinés normalement.

En septembre 2019, un avis révisé du Conseil supérieur de la santé (CSS) sur la vaccination des patients immunodéficients et des malades chroniques a été publié : Avis 9158 patients ID et vaccination, 2019.1
Cet avis aborde divers aspects de la vaccination dans des situations d'immunosuppression (traitement par immunosuppresseurs, VIH, chimiothérapie ou radiothérapie d’hémopathies malignes, immunodéficience congénitale). La vaccination dans le cadre de certaines maladies chroniques est également abordée (notamment le diabète, les maladies chroniques des reins, du foie, du cœur et des poumons). L’avis émet des recommandations sur les vaccins qui sont (fortement) recommandés ou contre-indiqués dans ces conditions-là, la période de vaccination la plus appropriée, le calendrier de vaccination le plus approprié et la nécessité éventuelle d'un suivi sérologique.
La décision de vacciner ces patients et toutes les modalités à ce sujet relèvent souvent du domaine du spécialiste. L'avis du CSS recommande que le statut vaccinal des patients immunodéficients et des malades chroniques soit vérifié au moins une fois par an en concertation entre le spécialiste et le médecin généraliste.

Le présent article des Folia traite de la vaccination
(1) des patients sous immunosuppresseurs: à quoi faut-il faire attention? ;
(2) des nourrissons ayant été exposés in utero à des immunosuppresseurs ;
(3) des nourrissons dont la mère prend des agents biologiques pendant la période d'allaitement.


Vaccination des patients sous immunosuppresseurs: à quoi faut-il faire attention ?

Les patients traités par immunosuppresseurs présentent un plus grand risque d’être touchés par certaines infections et/ou de connaître une évolution plus compliquée de ces infections.  Un statut vaccinal optimal est donc essentiel. Voici quelques points auxquels il faut faire attention.

  • Vaccins inactivés

    • Les vaccins inactivés doivent si possible être administrés au moins deux semaines avant le début du traitement immunosuppresseur afin qu’une réponse vaccinale adéquate puisse se développer.

    • Ils peuvent également être administrés pendant le traitement par immunosuppresseurs ou immédiatement après l’avoir arrêté : cela ne pose pas de problème en termes d’innocuité, mais la réponse vaccinale peut être réduite (réponse immunitaire plus faible, durée de protection plus courte et/ou protection plus lente à apparaître). Cependant, on présume que même avec une efficacité vaccinale partiellement réduite, la vaccination reste associée à un bénéfice dans cette population de patients vulnérables. Lorsque la vaccination a lieu pendant le traitement, la réponse immunitaire est probablement moins affectée si une première dose de vaccin a déjà été administrée avant l’immunosuppression.

    • Note de la rédaction : Au moment de la publication de l'avis du CSS, il n’y avait pas encore de COVID-19. Quelques vaccins contre la COVID-19 sont disponibles depuis (voir chapitre 12.1.1.15. du Répertoire). L'expérience acquise avec les vaccins COVID-19 chez les patients immunodéficients n’est pas suffisante pour en déterminer le profil d’innocuité et d’efficacité. Étant donné que les vaccins à ARNm sont des vaccins non vivants et que le vaccin à vecteur viral est non réplicatif, on présume que les patients immunodéficients peuvent être vaccinés en toute sécurité. La réponse immunitaire peut toutefois être réduite. Il est donc préférable, ici aussi, d’administrer les vaccins au moins deux semaines avant le début du traitement immunosuppresseur.2,3

  • Vaccins vivants (rougeole-rubéole-oreillons, varicelle, rotavirus, fièvre jaune, BCG, vaccin vivant contre le zona, vaccin vivant contre la fièvre typhoïde)

    • Les vaccins vivants sont contre-indiqués chez les patients sous immunosuppresseurs en raison du risque de réplication du virus vaccinal, avec risque d'infection invasive.

    • Les vaccins vivants doivent être administrés si possible au moins 4 semaines avant le début de la prise de médicaments immunosuppresseurs, afin de garantir l’innocuité et le développement d’une réponse vaccinale adéquate.

    • Il convient de ne pas administrer de vaccins vivants immédiatement après l’arrêt d’un traitement immunosuppresseur : il convient d’attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Cet intervalle de temps (voir le tableau figurant dans l’avis) varie d'un médicament à l'autre et dépend de la demi-vie du médicament et de la durée de l'effet immunosuppresseur. Cet effet immunosuppresseur peut être encore présent même si le médicament n'est plus détectable dans le sang.

    • Si des personnes de l’entourage immédiat ou des contacts proches du patient immunodéficient ont reçu des vaccins vivants, il convient de suivre les précautions suivantes pour éviter le risque de transmission du virus vaccinal au patient immunodéficient.

      • Pour les vaccins rougeole-rubéole-oreillons, le vaccin contre la varicelle et le vaccin vivant contre le zona: le contact avec le patient immunodéficient doit seulement être évité si une éruption cutanée survient après la vaccination, jusqu'à ce que l'éruption ait disparu ; il n'y a pas d'autres précautions à prendre.

      • Pour les vaccins contre le rotavirus : le patient immunodéficient doit éviter tout contact avec les matières fécales du nourrisson vacciné jusqu'à 4 semaines après la vaccination.

  • En cas de projets de voyage (même futurs), il est important d'orienter le patient à temps vers un centre de vaccination pour planifier les vaccinations nécessaires, surtout en ce qui concerne la vaccination contre la fièvre jaune (qui se fait avec un vaccin vivant).

  • La nécessité d'une surveillance sérologique après la vaccination des patients immunodéficients ne fait pas l’objet d’un consensus. Le CSS recommande de surveiller le titre d'anticorps après les vaccinations suivantes : vaccination contre l'hépatite B, vaccination contre la fièvre jaune et, dans certains cas, vaccination contre la rage en « prophylaxie post-exposition ».

  • Rien ne prouve que les vaccinations soient un facteur déclenchant de l'aggravation de maladies immunitaires chroniques ou d'exacerbations. Par précaution, le CSS conseille de ne pas vacciner, si possible, durant la phase aiguë d’une exacerbation.

Vaccination des nourrissons ayant été exposés in utero à des immunosuppresseurs

Les femmes traitées par des médicaments immunosuppresseurs dans le cadre de maladies inflammatoires chroniques doivent souvent continuer à les prendre pendant leur grossesse. Ce traitement influence-t-il la réponse vaccinale du nourrisson et les vaccins peuvent-ils être administrés en toute sécurité au nourrisson ?

  • Concernant l'azathioprine, la ciclosporine et la dexaméthasone, les données n’indiquent pas d’immunosuppression chez le nouveau-né : ces médicaments n'influenceront donc pas la réponse vaccinale chez le nourrisson.

  • Agents biologiques (anticorps monoclonaux : inhibiteurs du TNF, antagonistes des interleukines) :

    • De nombreuses incertitudes subsistent quant aux effets, en termes d’innocuité et de réponse immunitaire, des agents biologiques, et en particulier des anticorps monoclonaux, sur le système immunitaire en développement du nourrisson, et pour beaucoup de ces agents, l'expérience chez les femmes enceintes est très limitée. Un cas mortel d’infection par le BCG a été rapporté chez un nouveau-né vacciné contre la tuberculose (vaccin BCG) et dont la mère avait reçu de l'infliximab (un inhibiteur du TNF) pendant la grossesse. On sait également que certains de ces agents peuvent circuler chez l’enfant pendant plusieurs mois après la naissance. Lorsque des vaccins vivants sont administrés pendant les premiers mois de la vie aux nourrissons ayant été exposés in utero à des anticorps monoclonaux, il faut tenir compte du fait que ces vaccins peuvent entraîner des infections graves. De plus, tout vaccin administré (vivant ou non vivant) peut s’avérer moins efficace chez ces nourrissons.

      - Les anticorps, et donc aussi les agents biologiques dérivés d’anticorps (anticorps monoclonaux), ne passent pratiquement pas la barrière placentaire au cours du premier trimestre. Le passage transplacentaire (par transport actif) commence vers la 13e semaine de grossesse et augmente ensuite progressivement. Le pic se situe dans les 4 dernières semaines de la grossesse, ce qui peut conduire, chez le nouveau-né à terme, à des concentrations plasmatiques pouvant atteindre 120 à 130 % des concentrations plasmatiques de de la mère. Il existe également des preuves que la demi-vie des anticorps monoclonaux est prolongée chez le nouveau-né : l'infliximab administré à la mère peut encore être détecté chez l'enfant jusqu'à 6 à 12 mois après la naissance, l'adalimumab jusqu'à 3 à 6 mois après la naissance.
      - Des recherches récentes sont encourageantes, suggérant que chez les enfants exposés in utero à l'infliximab ou à l'adalimumab, la réponse aux vaccins contre le tétanos, l’Hib et les pneumocoques est similaire à celle des enfants non exposés.
    • Si l'administration de l’agent biologique a été interrompue avant la 22e semaine de grossesse, tous les vaccins (vaccins inactivés et vivants) peuvent être administrés selon le calendrier de vaccination habituel (voir Tableau 12a. dans le Répertoire).

    • Si l'agent biologique a été poursuivi après la 22e semaine de grossesse, la vaccination avec des vaccins vivants doit être reportée après l'âge de 6 mois (ce qui signifie donc que le vaccin contre le rotavirus ne peut pas être administré). Une alternative possible, si elle est disponible, consiste à mesurer la concentration plasmatique de l'agent biologique chez le nouveau-né, et de décider en fonction de celle-ci si un vaccin vivant peut ou non être administré. [Mise à jour 24/05/22 : Pour l'infliximab, une période de 12 mois après la naissance est recommandée, sauf si les taux sériques d'infliximab du nourrisson sont indétectables (voir DHPC, site Web AFMPS, 07/03/22).] Les vaccins inactivés peuvent être administrés selon le calendrier de vaccination habituel (voir Tableau 12a. dans le Répertoire).

Note du CBIP. Un certain nombre de médicaments immunosuppresseurs sont tératogènes, notamment le méthotrexate, le mycophénolate mofétil et le cyclophosphamide, et sont donc contre-indiqués pendant la grossesse.

Nous renvoyons au Répertoire pour certains détails sur l'utilisation pendant la grossesse du méthotrexate, du mycophénolate mofétil et du cyclophosphamide (agents alkylants). Jusqu’à ce jour, il n'y a pas de preuve d'un effet tératogène avec les anticorps monoclonaux (ils ne passent d’ailleurs pas la barrière placentaire au cours du premier trimestre), mais de nombreux médicaments ne sont pas suffisamment documentés chez la femme enceinte.
 

Vaccination des nourrissons dont la mère prend des agents biologiques pendant la période d'allaitement

Peu d'anticorps monoclonaux passent dans le lait maternel, et les petites quantités qui passent sont détruites dans le tube digestif de l'enfant allaité. Les enfants allaités dont les mères sont traitées avec de tels agents (p.ex. inhibiteurs du TNF, antagonistes des interleukines) peuvent donc être vaccinés avec des vaccins inactivés et vivants selon le calendrier de vaccination habituel (voir Tableau 12a. dans le Répertoire). [Mise à jour 24/05/22 : L'administration d'un vaccin vivant à un nourrisson allaité au sein pendant que la mère reçoit de l'infliximab n'est pas recommandée, sauf si les taux sériques d'infliximab sont indétectables chez le nourrisson (voir DHPC, site Web AFMPS, 07/03/22).].

 

Sources spécifiques

Conseil Supérieur de la Santé. Avis 9158 patients ID et vaccination: Vaccination d'enfants et/ou d'adultes immunodéficients ou malades chroniques (septembre 2019) ; disponible en anglais uniquement (situation au 11/02/2021)
Public Health England. The green book. Guidance. COVID-19: the green book, chapter 14a. Via https://www.gov.uk/government/publications/covid-19-the-green-book-chapter-14a
3 Organisation Mondiale de la Santé: https://www.who.int/publications/i/item/WHO-2019-nCoV-vaccines-SAGE_recommendation-BNT162b2-2021.1 (Comirnaty®, 08/01/21), https://www.who.int/publications/i/item/interim-recommendations-for-use-of-the-moderna-mrna-1273-vaccine-against-covid-19 (COVID-19 Vaccine Moderna®, 25/01/21), https://www.who.int/publications/i/item/WHO-2019-nCoV-vaccines-SAGE_recommendation-AZD1222-2021.1 (COVID-19 Vaccine AstraZeneca®, 11/02/21)