Réactions cutanées graves aux médicaments

Les réactions cutanées graves (Severe Cutaneous Adverse Reactions ou SCAR) peuvent être associées à une morbidité prononcée, voire engager le pronostic vital. Dans le présent article, nous abordons les principales réactions cutanées graves aux médicaments (syndrome de Stevens-Johnson, nécrolyse épidermique toxique, syndrome DRESS et pustulose exanthématique aiguë généralisée), en mentionnant pour chaque réaction cutanée les médicaments les plus fréquemment incriminés. Nous abordons également les mesures essentielles pour réduire ou prévenir la morbidité et la mortalité aiguës causées par les réactions cutanées graves, et pour éviter les effets à long terme : reconnaître rapidement le problème, identifier et arrêter le médicament suspect, et ne plus jamais administrer le médicament suspecté.

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Principales réactions cutanées graves

Dans le présent article, nous nous limitons aux principaux types de réactions cutanées graves aux médicaments (en anglais : severe cutaneous adverse reactions ou SCARs)

Pour ce qui suit, nous nous appuyons sur un article de synthèse paru dans The Lancet (2017)1. Cet article du Lancet approfondit également le diagnostic, les facteurs génétiques, les mécanismes immunologiques et le traitement, mais cela n'entre pas dans le cadre du présent article. Dans le « Supplementary appendix », les différentes réactions cutanées sont illustrées par des photos.


Informations générales

  • Épidémiologie: Les réactions cutanées graves sont rares, mais en particulier le SSJ, la NET et le DRESS peuvent mettre la vie en danger et entraîner des conséquences graves et chroniques. L'incidence du SSJ et de la NET est estimée à 2 cas par million de personnes par an. L'incidence du DRESS chez les nouveaux utilisateurs d'antiépileptiques p.ex. (tels que la carbamazépine, la phénytoïne ou la lamotrigine) est estimée entre 1 cas sur 1.000 et 1 cas sur 10.000 par an.

  • Les médicaments associés à la plupart des réactions cutanées graves sont en nombre limité. Nous mentionnons dans le présent article, en nous appuyant sur le « Supplementary appendix » de l'article du Lancet, les « médicaments à haut risque » (pour le SSJ et la NET, et pour la PEAG ; sur base de résultats d’études cas-témoins) et les « médicaments à risque non classifié » (pour le SSJ et la NET , pour le DRESS et pour la PEAG ; sur base de rapports de cas et de séries de cas dans la littérature, et des avertissements de l'Agence européenne des médicaments EMA et de la Food and Drug Administration FDA américaine).

Nous avons ajouté, lorsqu’ils n'étaient pas déjà mentionnés, les médicaments ayant fait l’objet en Belgique d’une Direct Healthcare Professional Communication (DHPC) en raison d’un risque de réactions cutanées sévères (période 2011 - mars 2021) ; ils sont repris sous les « médicaments à risque non classifié ».
  • Sont considérés comme des facteurs de risque d’une réaction cutanée grave : des pathologies sous-jacentes (notamment l’infection par le VIH, un lupus érythémateux disséminé) et des facteurs génétiques (notamment la présence de certains allèles HLA). Dans les RCP de la carbamazépine et de l'oxcarbazépine, de l'abacavir et de l'allopurinol, il est explicitement recommandé de dépister (dans certains groupes de la population) le portage d'allèles HLA spécifiques avant de commencer un traitement.

- Avec la carbamazépine et l'oxcarbazépine, la phénytoïne et la lamotrigine, le risque de réaction cutanée grave se révèle plus élevé chez les porteurs de l'allèle HLA-B*1502 que chez les non-porteurs. Le portage de cet allèle ne se rencontre que chez les personnes d'origine asiatique. Dans le RCP des spécialités à base de carbamazépine et d'oxcarbazépine, on recommande de dépister autant que possible la présence de l'allèle HLA-B*1502 chez les patients d'origine chinoise Han et thaïlandaise avant de commencer un traitement (situation au 24/03/21). Les RCP des spécialités à base de phénytoïne et de lamotrigine ne mentionnent pas de dépistage proactif (situation au 24/03/21).
- Avec l'abacavir, le risque de réaction cutanée grave se révèle plus élevé chez les porteurs de l'allèle HLA-B*5701. Dans le RCP des spécialités à base d'abacavir, on recommande de dépister la présence de l'allèle HLA-B*5701 chez tous les patients, avant de commencer un traitement (situation au 24/03/21).
- Avec l'allopurinol, le risque de réaction cutanée grave se révèle plus élevé chez les porteurs de l'allèle HLA-B*5801. Dans le RCP des spécialités à base d'allopurinol, on recommande de dépister la présence de l'allèle HLA-B*5801 chez les patients d'origine chinoise Han, coréenne et thaïlandaise, avant de commencer un traitement (situation au 24/03/21).

Syndrome de Steven-Johnson (SSJ) et nécrolyse épidermique toxique (NET)

  • Caractéristiques.

    • Le SSJ et la NET sont tous deux des variantes de nécrolyse épidermique. Ce qui les distingue, c’est le pourcentage de la surface corporelle affectée par le décollement cutané : < 10% pour le SSJ, > 30 % pour la NET. Lorsque la nécrolyse s’étend sur 10 à 30% de la surface corporelle, on parle d'une forme intermédiaire « SSJ/NET ».

    • Les réactions cutanées comprennent un érythème confluent, des vésicules et un décollement cutané (phénomène de Nikolsky), avec atteinte des muqueuses. Les réactions cutanées sont fréquemment précédées d'une détérioration de l'état général, de fièvre, de symptômes pseudo-grippaux, de symptômes près des yeux, du nez, de la gorge et des oreilles, et de douleurs cutanées. [Ndlr : ces symptômes généraux peuvent être peu prononcés au début]. Une élévation des marqueurs d’atteinte hépatique ou rénale et une nécrose de l'épithélium pulmonaire et gastro-intestinal peuvent survenir.

  • Causes médicamenteuses :

    • Dans environ 70 % des cas de SSJ et de NET, un médicament causal est identifié. Dans 15 % des cas, une cause médicamenteuse est considérée comme peu probable. L'infection à Mycoplasma pneumoniae est également associée au SSJ et à la NET, en particulier chez les enfants.

    • Intervalle entre l’initiation du médicament causal et l’apparition des symptômes : 4 à 28 jours.

    • Médicaments à haut risque :

      • allopurinol ;

      • les antiépileptiques carbamazépine, oxcarbazepine, phénytoïne, phénobarbital et lamotrigine [note : concernant la lamotrigine, nous mentionnions dans les Folia de janvier 2020 un certain nombre de mesures pour éviter le risque de réactions cutanées sévères (telles que l’augmentation progressive de la dose, même après une interruption)] ;

      • AINS du groupe des oxicams (méloxicam, piroxicam, ténoxicam);

      • sulfamidés: co-trimoxazole ; sulfadiazine ; sulfasalazine ;

      • sertraline ;

      • divers : éfavirenz; étravirine; névirapine. 

    • Médicaments à risque non classifié : ambroxol et bromhexine [voir aussi les Folia de juillet 2015], atazanavir, atézolizumab, bendamustine, bortézomib, bumétanide, capécitabine, doxycycline, époétines, fébuxostat, galantamine, produits de contraste iodés, ipilimumab, lénalidomide, lévétiracétam, modafinil, moxifloxacine, nivolumab, pantoprazole, paracétamol, pembrolizumab, rituximab [ndlr: des cas ont également été rapportés avec le pérampanel. On soupçonne que le risque accru observé avec le paracétamol pourrait plutôt s'expliquer par le fait que le paracétamol a été pris dès l'apparition des premiers symptômes (douleur, fièvre) du SSJ ou de la NET.].

  • Prise en charge

    • Le SSJ et la NET nécessitent une prise en charge urgente et spécialisée à l'hôpital (unité de soins intensifs, unité de grands brûlés). La prise en charge consiste principalement en un traitement symptomatique et une thérapie de soutien, incluant des soins spécialisés des plaies.

  • Pronostic

    • Le risque de mortalité dans la phase aiguë est d'au moins 10 % pour le SSJ, et d'environ 40 % pour la NET.

      - Globalement, pour les deux pathologies, un taux de mortalité en phase aiguë de 22 % a été calculé en Europe. La mortalité est plus élevée chez les patients atteints d’affections malignes. [Ndlr : l'âge avancé augmente également le risque de décès].
      - Après 1 an, un taux de mortalité global de 34 % a été calculé pour le SSJ et la NET (24 % pour le SSJ et 49 % pour la NET).
    • Les effets à long terme touchent principalement la peau, les yeux, les poumons, la bouche et les dents, ainsi que les organes génitaux. Parmi les conséquences psychiatriques, on compte notamment un SSPT (syndrome de stress post-traumatique). [Ndlr : En cas de lésion oculaire, un diagnostic et un traitement précoces sont essentiels. Sinon, il existe un risque de synéchies (adhérences entre structures oculaires adjacentes), qui peuvent entraîner une cécité irréversible].


Syndrome DRESS-(Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms)

  • Caractéristiques

    • Le syndrome DRESS comprend des symptômes cliniques hétérogènes, consistant en des atteintes d'organes (en particulier le foie), s’accompagnant éventuellement de réactions cutanées (exanthème maculo-papuleux, érythrodermie, œdème facial et œdème aux extrémités, purpura, pustules et parfois atteinte muqueuse focale), et des anomalies biologiques (notamment éosinophilie). La phase prodromique (avec fièvre, lymphadénopathie, symptômes de type grippal, sensation de brûlure, démangeaisons) peut survenir jusqu'à 2 semaines avant les réactions cutanées. Le syndrome DRESS peut entraîner la réactivation de certains virus herpès [ndlr : jusqu'à plusieurs mois après].

      Chez plus de 80 % des patients, le foie est atteint (surtout cytolyse, parfois cholestase ou les deux, et rarement insuffisance hépatique fulminante. Les reins (néphrite interstitielle), les poumons (dyspnée, toux, pneumonie à éosinophiles, rarement insuffisance respiratoire) et le cœur (myocardite, péricardite) peuvent également être atteints. Dans de rares cas, des troubles neurologiques ou musculaires peuvent survenir.
  • Causes médicamenteuses

    • L'intervalle entre l’initiation du médicament causal et l’apparition des symptômes est de 2 à 6 semaines.

    • L'article du Lancet ne définit pas de « médicaments à haut risque ».

    • Médicaments à risque non classifié: abacavir ; allopurinol ; amitriptyline ; certains antiépileptiques (carbamazépine, oxcarbazépine, phénytoïne, phénobarbital, gabapentine, lamotrigine, zonisamide, ndlr : des cas ont également été rapportés avec le pérampanel) ; certains antibiotiques (amikacine, céfépime, co-trimoxazole, minocycline, streptomycine, vancomycine) ; bendamustine ; bosentan ; dapsone ; fébuxostat ; produits de contraste iodés ; (hydroxy)chloroquine ; ibuprofène ; léflunomide ; modafinil ; névirapine ; olanzapine ; oméprazole ; prasugrel ; régorafénib ; sulfasalazine.

       
  • Prise en charge

    • Le syndrome DRESS nécessite une prise en charge urgente et spécialisée à l'hôpital. La prise en charge consiste principalement en un traitement symptomatique et une thérapie de soutien, incluant des soins cutanés adaptés.

  • Pronostic

    • Le risque de mortalité dans la phase aiguë est de 5 à 10 %, principalement en raison de lésions au cœur ou aux poumons et d'anomalies hématologiques graves.

    • L'incidence des effets à long terme (principalement maladies auto-immunes) est estimée à 11,5 %.


Pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG)

  • Caractéristiques

    • Nombreuses petites pustules stériles, principalement non folliculaires, qui se produisent sur un érythème œdémateux sous-jacent étendu, qui peut parfois prendre une forme érythrodermique. Cette éruption pustuleuse touche d’abord les plis cutanés (aisselles, aine), le tronc et les membres supérieurs. Les réactions cutanées surviennent simultanément à une forte fièvre et une leucocytose. Dans de rares cas, une atteinte muqueuse buccale et des atteintes d'organes (en particulier le foie, les reins et les poumons) sont également décrites.

  • Causes médicamenteuses

    • L'intervalle entre l’initiation du médicament causal et l’apparition des symptômes est de 2 à 11 jours.

    • Médicaments à haut risque :

      • antibiotiques : aminopénicillines (amoxicilline), les quinolones, les sulfamidés antibactériens, les macrolides ;

      • (hydroxy)chloroquine ;

      • diltiazem ;

      • terbinafine. 

    • Médicaments à risque non classifié: allopurinol, ambroxol et bromhexine [voir aussi les Folia de juillet 2015], cétirizine en lévocétirizine, flucloxacilline, galantamine, produits de contraste iodés, hydroxyzine, paracétamol [ndlr : il n’est pas exclu que le risque accru observé avec le paracétamol puisse plutôt s’expliquer par le fait que le paracétamol a été pris dès l'apparition des premiers symptômes (douleur, fièvre) de la PEAG].

    Pronostic et prise en charge.

    • La PEAG est généralement transitoire et bénigne, mais elle doit être prise en charge par une équipe expérimentée lorsqu’elle s’accompagne d’une lésion étendue ou grave des organes. Aucun effet à long terme n'a été décrit.


Quelles sont les mesures essentielles pour réduire ou prévenir la morbidité et la mortalité aiguës causées par les réactions cutanées graves, et pour éviter les effets à long terme ?

  • Reconnaître et identifier rapidement le type de réaction cutanée grave.

  • Repérer et arrêter immédiatement le médicament suspect/en cause. Importants critères d’identification du médicament en cause : le moment auquel le médicament a été initié et le moment auquel apparaissent les premiers symptômes. Attention : un médicament à longue demi-vie ayant été arrêté avant le début des symptômes doit également être suspecté.

  • Ne plus jamais administrer le médicament suspecté.


Sources spécifiques

Duong TA, Valeyrie-Allanore L, Wolkenstein P et al. Severe cutaneous adverse reactions to drugs (Seminar). The Lancet 2017;390:1996-2011 (doi: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(16)30378-6) + Supplementary appendix