Nous décrivons ici les résultats de deux études rétrospectives de cohorte menées chez des patients diabétiques de type 2,  évaluant les gliflozines en comparaison à des traitements antidiabétiques plus anciens (les sulfamidés hypoglycémiants et la metformine).

  • Dans une population tous niveaux de risque cardiovasculaire confondus, le choix d’une gliflozine comme traitement de première intention n’apporte pas de bénéfice sur le risque de complications cardiovasculaires en comparaison à la metformine. Le critère combiné des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de la mortalité globale diminue.

  • Dans une population sélectionnée (quasi exclusivement masculine) prenant déjà de la metformine, un traitement add-on avec une gliflozine montre un avantage sur la mortalité totale comparativement à un traitement add-on avec un sulfamidé hypoglycémiant.

Bien que sujets à prudence dans leur interprétation, les résultats issus de ces études tendent à confirmer certains bénéfices des gliflozines, en particulier sur le risque d’insuffisance cardiaque.
Plus d’études randomisées contrôlées restent nécessaires pour orienter au mieux les choix thérapeutiques dans le diabète de type 2.

Introduction

Les gliptines, les analogues du GLP-1 et les gliflozines sont des nouvelles classes thérapeutiques apparues sur le marché ces dernières années pour le traitement du diabète. De nombreuses études randomisées contrôlées par placebo ont été publiées, mais les études comparatives à des molécules plus anciennes sont restées exceptionnelles (voir Folia de décembre 2020). Dans ce contexte, il nous semblait intéressant de rapporter les résultats de quelques études observationnelles, évaluant les effets de divers traitements dans le diabète de type 2, en situation réelle et sur des critères d’évaluation forts. Bien que sujets à prudence dans leur interprétation, les résultats issus de ces études permettent parfois d’illustrer certaines tendances (trends).

Comparaison de l’efficacité des gliflozines et de la metformine comme traitement de première intention

Message clé

Dans une population de patients diabétiques de type 2 non sélectionnés pour un risque cardiovasculaire ou rénal particulier, initier un traitement avec une gliflozine en comparaison à la metformine :

  • n’apporte pas de bénéfice sur le risque combiné d’infarctus du myocarde, d’AVC et de décès ;

  • apporte un bénéfice sur le risque combiné d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de décès.

En quoi cette étude est-elle importante ?

Dans le cadre de la prise en charge médicamenteuse du diabète de type 2, certaines recommandations (ADA, NHG) positionnent désormais les gliflozines (ou parfois les analogues du GLP-1) en première intention (avant la metformine) chez des patients présentant un risque très élevé de complications cardiaque ou rénale de leur diabète (voir + plus d’infos). Ce risque très élevé est déterminé par la présence d’un antécédent (ou de plusieurs facteurs de risque pour un événement) cardiovasculaire ischémique, d’une néphropathie ou d’une insuffisance cardiaque. Étant donné l’absence d’études randomisées, une analyse comparative de ces deux options thérapeutiques dans la vie réelle semble d’intérêt.

  • depuis son update 2022 de son Standards of Medical Care in Diabetes, l’association américaine du diabète (ADA) propose, dès le diagnostic du diabète et ce, indépendamment de la nécessité de contrôler la glycémie (en dehors des mesures non médicamenteuses)
    • chez les patients à haut risque cardiovasculaire (présence de – ou haut risque pour – une maladie cardiovasculaire athérosclérotique) : de commencer indifféremment avec une gliflozine* ou un analogue du GLP1*
    • chez les patients avec une insuffisance cardiaque : de commencer avec une gliflozine*
    • chez les patients avec une néphropathie diabétique : de commencer préférentiellement avec une gliflozine*, ou, en cas d’intolérance ou de contre-indication, avec un analogue du GLP1*
      *(avec bénéfice prouvé dans cette situation)
  • Le NHG a mis à jour (fin 2021) sa recommandation (NHG Standaarden). Ils proposent de déterminer au préalable le risque spécifique des patients. Chez les patients avec antécédents cardiovasculaire ischémique, ou présentant une insuffisance cardiaque ou une néphropathie, une fois que les mesures non médicamenteuses sont devenues insuffisantes, le premier traitement proposé (avant la metformine) est une gliflozine (ou, en cas de contre-indication, un analogue du GLP1).
  • Ces recommandations se basent essentiellement sur les résultats d’études cliniques ayant montré un bénéfice cardiovasculaire et rénal de gliflozines, en comparaison au placebo, dans des populations sélectionnées pour un risque cardiovasculaire élevé. Elles ne sont pas basées sur des études randomisées comparant des gliflozines à d’autres options de traitement possible, telle que la metformine.

Protocole de l’étude

  • La question clinique est la suivante : Chez des patients diabétiques de type 2 qui n’ont pas encore pris de traitement médicamenteux, y a-t-il une différence en terme de complications cardiovasculaires entre les patients qui débutent une gliflozine en comparaison aux patients qui débutent la metformine.

  • Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective chez 25 839 patients 1. Les patients inclus sont des adultes diabétiques de type 2 et ils reçoivent une première prescription, soit pour de la metformine (environ 17 000), soit pour une gliflozine (environ 8 600). Le follow-up moyen a été d’un peu moins de 1 an.

    Données issues de bases de données d’assurances-santé américaines, récoltées entre avril 2013 et mars 2020. Les patients inclus ont en moyenne 60 ans et 70 % sont caucasiens, 38% sont obèses et 14% fument. Un quart de ces patients présentent un antécédent cardiovasculaire, 7% une néphropathie et 6% une insuffisance cardiaque. Les hommes représentent 51,5% de la cohorte. L’HbA1c est en moyenne de 7,7% dans le groupe gliflozine et de 7,2% dans le groupe metformine (après PS matching).
  • Les critères d’évaluation primaire sont :

    • Un combiné des hospitalisations pour infarctus du myocarde, des hospitalisations pour AVC ischémique ou hémorragique et des décès toutes causes confondues.

    • Un combiné des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et des décès toutes causes confondues.

  • Des critères d’évaluations de la sécurité ont également été analysés : lésions rénales aigues, fractures, infections génitales, hypoglycémies sévères, infections sévères des voies urinaires, acidocétose diabétique et amputations au niveau des membres inférieurs.

Résultats

  • Il n’y a pas de différence en ce qui concerne le risque de morbidité cérébrovasculaire ou coronaire et de mortalité globale (HR = 0,96 avec IC à 95% de 0,77 à 1,19).

  • Par contre, le critère combiné des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de la mortalité globale diminue dans le groupe de patients ayant débuté une gliflozine comparativement à la metformine (HR = 0,80 ; IC à 95% de 0,66 à 0,97). En valeur absolue, la différence entre les groupes est de l’ordre de 5 événements pour 1000 personnes-années en faveur des gliflozines. Le NNT est d’environ 200 pour ce résultat, autrement dit, il faut traiter environ 200 patients pendant 1 an avec une gliflozine (plutôt que de la metformine) pour éviter soit une hospitalisation pour insuffisance cardiaque soit un décès.

  • À propos de la sécurité, la seule différence entre les groupes concerne les infections génitales qui sont plus fréquentes sous gliflozine.

    • Le protocole a prévu une analyse en sous-groupe, en fonction de la présence (n=6 768) ou de l’absence (n=25 839) d’antécédents cardiovasculaires. Chez les patients avec antécédents cardiovasculaires, il n’y a pas de réduction statistiquement significative du risque pour aucun des deux critères d’évaluation primaire, mais les intervalles de confiance sont larges, traduisant le faible de nombre d’événements : dans le groupe de patients avec antécédents cardiovasculaire, entre le groupe gliflozines et le groupe metformine, la différence d’incidence pour IM/AVC/décès est de – 3,11 pour 1000 années patients (avec IC à 95% de -12,96 à + 6,74) et pour les  HHF/décès est de – 4,37 pour 1000 années patients (avec IC à 95% de – 17,79 à + 9,06).
    • Pour le critère des infections génitales, le risque a été supérieur dans le groupe ayant commencé une gliflozine, comparativement à la metformine (HR = 2,19 avec IC à 95% de 1,91 à 2,51). En valeur absolue, la différence entre les groupes est de + 30,48 (avec IC à 95% de +24,72 à +36,23) événements pour 1000 personnes-années en faveur des gliflozines. Soit un NNH d’environ 33 pour 1 an.

Commentaire du CBIP

  • Les critères d’évaluation sont forts et pertinents, et l’étude fournit une analyse de critères de sécurité, ce qui constitue un point fort de cette étude.

  • Malgré une analyse soigneuse de multiples facteurs confondants potentiels, le caractère épidémiologique de cette étude n’exclut pas la persistance de facteurs confondants résiduels pouvant expliquer la différence observée (par exemple, sur quelle base les médecins décidaient de prescrire ou pas une gliflozine en premier ?).

  • La durée de suivi est très courte (moins de 1 an). Le suivi a été stoppé dans plus de la moitié des cas en raison de l’arrêt du traitement étudié. Ces arrêts de traitement pourraient éventuellement être en lien avec un problème de tolérance, information qui aurait été utile à la pratique.

  • Il s’agit d’analyses de prescriptions, l’usage réel des médicaments étant une déduction issue de ces données.

  • Le bénéfice des gliflozines (comparativement à la metformine) sur les hospitalisations pour insuffisance cardiaque est en ligne avec certains résultats d’études randomisées contrôlées menées avec des gliflozines (voir Folia de mai 2019 et Folia de février 2021).

  • Pour rappel, actuellement en Belgique, les gliflozines ne sont pas remboursées dans un contexte de première étape de traitement médicamenteux. Pour les critères de remboursement des gliflozines, cliquer sur la catégorie de remboursement en regard de chaque spécialité dans le Répertoire (voir RCM chapitre 5.1.8.).

Comparaison de l’efficacité des gliflozines et des sulfamidés hypoglycémiants en add-on avec la metformine

Message clé

Dans une population sélectionnée (majoritairement des hommes blancs) et insuffisamment contrôlée sous metformine (HbA1c 8,6%), une étude de cohorte rétrospective suggère que le risque de décès est moindre pour les patients chez qui l’on a prescrit une gliflozine versus un sulfamidé hypoglycémiant (réduction relative du risque de l’ordre de 20%).

En quoi cette étude est-elle importante ?

Il n’y a pas d’étude randomisée contrôlée qui évalue la question du meilleur choix (entre un sulfamidé hypoglycémiant et une gliflozine) comme traitement add-on à la metformine.

Protocole de l’étude

  • La question clinique est la suivante : quel est le risque de décès parmi les patients diabétiques de type 2 qui prennent de la metformine et chez qui est instauré un traitement add-on avec une gliflozine, comparativement à un sulfamidé hypoglycémiant ?

  • Il s’agit d’une étude rétrospective (octobre 2016 – février 2020) au sein d’une cohorte de vétérans américains2 souffrant d’un diabète de type 2, la plupart sont des hommes (95%). Les patients inclus prennent de la metformine depuis au moins 3 mois et reçoivent une prescription pour un traitement supplémentaire (add-on), soit une gliflozine (n=23 870), soit un sulfamidé hypoglycémiant (n=104 423).

    • Les ¾ des patients inclus sont blancs et 1/5 sont afro-américains. Leur âge moyen est de 64 ans. Les patients avec une insuffisance rénale sévère ou terminale ont été exclus.
    • On note un déséquilibre dans les caractéristiques des patients ayant reçu une gliflozine en comparaison à ceux ayant reçu un sulfamidé hypoglycémiant. Ils sont globalement plus âgés (65 au lieu de 63,5 ans), avec plus d’antécédents cardiovasculaires (38% versus 20%), d’insuffisance cardiaque (11% versus 5%) et de néphropathie (43,5% versus 40%). Les cohortes ont été ajustées pour ces différences.
  • Le follow-up moyen a été de 2,2 ans. La fin du suivi était déterminée soit par le décès, soit par la fin de l’étude (fin janvier 2021).

  • Le critère d’évaluation primaire est le délai jusqu’au décès toutes causes confondues.

  • Une analyse de multiples facteurs confondants potentiels a été réalisée et les variables ont été ajustées entre les 2 groupes.

Résultats

  • En comparaison aux patients ayant reçu, en plus de la metformine (traitement add-on), une première prescription pour un sulfamidé hypoglycémiant (« nouveaux utilisateurs»), les patients ayant reçu une première prescription pour une gliflozine présentaient un risque réduit de mortalité toutes causes confondues (HR = 0,81 ; IC à 95% de 0,75 à 0,87).

  • En valeur absolue, il y a eu environ 5 décès en moins pour 1 000 années – patients ayant débuté une gliflozine plutôt qu’un sulfamidé hypoglycémiant (IC à 95% de -7,16 décès à -3,02 décès). La différence absolue en 1 an est d’environ -0,5% ce qui correspond à un NNT de 200. Autrement dit, il faut commencer, en traitement add-on, une gliflozine plutôt qu’un sulfamidé hypoglycémiant chez environ 200 patients pour éviter 1 décès après 1 an.

  • L’âge (> 65 ans ou ≤ 65 ans), la présence d’un antécédant cardiovasculaire, le degré d’insuffisance rénale, la présence ou non d’une albuminurie, le BMI du patient, la présence d’autres traitements médicamenteux n’ont pas d’impact sur ce résultat.

Commentaire du CBIP

  • La question clinique est pertinente et le critère d’évaluation choisi est un critère fort, ce qui est positif. L’étude n’a malheureusement pas analysé la sécurité de ces deux traitements.

  • Malgré une analyse rigoureuse de multiples facteurs confondants potentiels, le caractère épidémiologique de cette étude n’exclut pas la persistance de facteurs confondants résiduels pouvant expliquer la différence observée. On ne connaît pas les raisons qui ont poussé les prescripteurs à proposer l’un ou l’autre des deux traitements add-on évalués ici.

    • D’une part, on constate que, avant ajustement, les nouveaux utilisateurs d’une gliflozine sont généralement plus âgés, avec plus d’antécédents cardiovasculaires, d’insuffisance cardiaque et de néphropathie.

    • D’autre part, une majorité des patients (4 patients sur 5) se sont vus proposer un sulfamidé hypoglycémiant, traduisant possiblement un impact du coût pour le patient dans le choix posé par le prescripteur 3. En effet, aux États-Unis, pays dans lequel cette étude a été menée, le coût des gliflozines pour le patient (out-of-pocket) est jusqu’à 50 fois plus élevé que celui des sulfamidés hypoglycémiants.

    • Même si un ajustement pour plusieurs de ces paramètres a été réalisé lors de l’analyse statistique, d’autres variables confondantes (confounding factors) encore inconnues, liées potentiellement à la situation sociale du patient, pourraient ne pas avoir été prises en compte 4.

  • Ce résultat n’est pas généralisable à l’ensemble des patients diabétiques de type 2, il concerne une population majoritairement masculine et blanche.

  • Il s’agit d’analyses de prescriptions, l’usage réel des médicaments étant une déduction issue de ces données.

  • Le bénéfice sur la mortalité montré ici chez les patients qui ont débuté, en traitement add-on, une gliflozine plutôt qu’un sulfamidé hypoglycémiant semble néanmoins en ligne avec d’autres résultats d’études randomisées contrôlées menées avec des gliflozines dans des populations à haut risque cardiovasculaire (voir Folia de novembre 2015, août 2017, mars 2019, février 2021 et décembre 2021). Par ailleurs, aucune étude randomisée contrôlée n’a démontré de bénéfice d’un sulfamidé hypoglycémiant sur la mortalité.

Conclusion

Les 2 études discutées ici évaluent la place des gliflozines dans le cadre d’étapes de traitements dans le diabète de type 2 (traitement de première intention ou traitement add-on). Les données issues de ces études sont néanmoins insuffisantes à ce stade pour confirmer (ou infirmer) les recommandations, où les gliflozines ont une place privilégiée chez les patients à risque cardiovasculaires et/ou rénal élevé. 
Il y a un besoin d’études randomisées contrôlées comparant différentes étapes de traitement entre elles, sur des critères d’évaluation cliniquement pertinents, dans des populations de patients diabétiques de type 2, tant à risque cardio-vasculaire élevé que faible. Nous reviendrons sous peu sur l’étude GRADE, une RCT publiée en septembre 2022, qui compare 4 classes thérapeutiques en traitement add-on de la metformine.

Sources

Shin H, Schneeweiss S, Glynn RJ, et al. Cardiovascular Outcomes in Patients Initiating First-Line Treatment of Type 2 Diabetes With Sodium-Glucose Cotransporter-2 Inhibitors Versus Metformin : A Cohort Study. Ann Intern Med. 2022 Jul;175(7):927-937. doi: 10.7326/M21-4012. Epub 2022 May 24. PMID: 35605236.
Xie Y, Bowe B, Gibson AK, et al. Comparative Effectiveness of Sodium-Glucose Cotransporter 2 Inhibitors vs Sulfonylureas in Patients With Type 2 Diabetes. JAMA Intern Med. 2021;181(8):1043–1053. doi:10.1001/jamainternmed.2021.2488.
3 Guduguntla V, Grant RW. Sodium-Glucose Cotransporter 2 Inhibitors vs Sulfonylureas: The Price of Prevention. JAMA Intern Med. 2021;181(8):1054. doi:10.1001/jamainternmed.2021.2487.
4 Al-Aly Z, Xie Y. Comparative Effectiveness of Sodium-Glucose Cotransporter 2 Inhibitors vs Sulfonylureas in Patients With Type 2 Diabetes-Reply. JAMA Intern Med. 2022 Jan 1;182(1):93-94. doi: 10.1001/jamainternmed.2021.6334. PMID: 34724023.