Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne

Abstract
Le mois d’octobre est le moment idéal pour rappeler l’importance de l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires. Les messages généraux des précédents articles de Folia à ce sujet (toujours dans les numéros d’octobre) restent d’application. Nous renvoyons aux Folia d’octobre 2019 pour une discussion sur le problème de la résistance.

Voici les points abordés dans le présent article :
- Les recommandations de la BAPCOC sur l'usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne : sur le site Web du CBIP, vous pouvez consulter les recommandations en ligne ou les télécharger en format PDF, ainsi que des fiches pratiques et un e-learning. Lire plus…
- Une méta-analyse récente apporte des arguments supplémentaires en faveur de la prescription différée en tant que compromis possible entre une « antibiothérapie immédiate » et « pas d'antibiothérapie » chez certains patients. Chez le patient atteint d'une infection aiguë des voies respiratoires ne justifiant pas une antibiothérapie, la stratégie à privilégier reste de ne pas donner de prescription et de demander au patient de revenir s'il ne constate aucune amélioration dans le délai prévu ou si ses symptômes s'aggravent. Lire plus…
- Une RCT française montre que chez les patients hospitalisés pour une pneumonie communautaire (PAC) de sévérité modérée et stabilisés à 3 jours de traitement, l’antibiothérapie par bêta-lactamines peut être arrêtée sans risque. Lire plus…
- Dans une grande étude de cohorte danoise, menée à l'échelle nationale, l'utilisation de macrolides pendant la grossesse n’est pas associée à une augmentation du risque d'anomalies congénitales majeures. Lire plus…

Les recommandations de la BAPCOC

Dans le guide BAPCOC édition 2021, vous pouvez lire les dernières recommandations de la Commission belge de Coordination de la Politique antibiotique (BAPCOC) concernant l'utilisation rationnelle des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne.

La « prescription différée »

La stratégie de la « prescription différée » consiste à remettre une prescription à un patient dont la situation ne justifie pas un traitement antibiotique immédiat, en précisant que l'antibiotique ne doit être utilisé qu’en l’absence d'amélioration dans le délai prévu ou en cas d’aggravation des symptômes. La prescription différée entraîne une diminution de la consommation d'antibiotiques par rapport à la prescription antibiotique immédiate : 93 % contre 31 % (critère d’évaluation primaire) selon la dernière Cochrane Review (2017) sur la « prescription différée » dans les infections aiguës des voies respiratoires2. La stratégie de l'antibiothérapie immédiate avait un effet positif limité sur les symptômes de l'otite moyenne aiguë et du mal de gorge (pas sur ceux du rhume ni de la toux), par rapport à la stratégie de la prescription différée. Il n’y avait pas de différence entre les deux stratégies en ce qui concerne la satisfaction des patients (critère d’évaluation primaire) et le taux de reconsultation (critère d’évaluation secondaire). La consommation d’antibiotiques restait la plus faible lorsqu'aucune prescription n’était remise au patient (« pas d'antibiothérapie » ; 14 % dans la Cochrane Review), mais dans ce cas, la satisfaction du patient était plus faible qu’avec les deux autres stratégies. En ce qui concerne le risque de complications (critère d’évaluation secondaire), aucune différence n’a été observée entre les trois stratégies de prescription.

Une méta-analyse récente (2021)3 sur données individuelles de patients provenant d'études menées en première ligne (9 études randomisées et 4 études de cohorte ; plus de 55 000 cas d'infections des voies respiratoires) renforce les arguments en faveur de la prescription différée comme compromis possible entre une « antibiothérapie immédiate » et « pas d'antibiothérapie » chez certains patients. En ce qui concerne le critère d’évaluation primaire « degré de sévérité des symptômes 2 à 4 jours après la consultation initiale », on n’a pas observé de différence entre la prescription différée et les autres stratégies (antibiothérapie immédiate, pas d'antibiothérapie). Les critères d'évaluation secondaires étaient les suivants : la durée des symptômes (légèrement plus longue avec la prescription différée qu'avec l'antibiothérapie immédiate : 11,4 contre 10,9 jours) ; le taux de reconsultation (plus faible avec la prescription différée par rapport à l'absence d'antibiothérapie) ; les complications graves (aucune différence statistiquement significative entre les stratégies) ; la satisfaction du patient (plus grande avec la prescription différée par rapport à l'absence d'antibiothérapie). Les résultats n'ont pas été influencés par des facteurs tels que la comorbidité.

Commentaire du CBIP. Chez le patient atteint d'une infection aiguë des voies respiratoires ne justifiant pas une antibiothérapie immédiate, la stratégie à privilégier, dans le cadre d’une prescription rationnelle des antibiotiques, consiste à ne pas donner de prescription et à demander au patient de revenir s'il ne constate aucune amélioration dans le délai prévu ou si ses symptômes s'aggravent. La stratégie de la « prescription différée » est une option qui permet de répondre à la crainte éventuelle, de la part du médecin et du patient, de passer à côté d'une infection potentiellement grave. Autre raison possible pour adopter la stratégie différée : éviter une consultation supplémentaire, qui coûte du temps et de l'argent au patient, lorsque l'on juge qu’une antibiothérapie n’est pas encore justifiée mais peut être justifiée si certains symptômes s’aggravent. Si l’on prévoit qu’un antibiotique ne sera pas nécessaire, il est préférable d’éviter la prescription différée pour ne pas donner une impression erronée d’efficacité.

Durée de l’antibiothérapie chez les patients hospitalisés pour une pneumonie communautaire (PAC) de sévérité modérée

Comme nous le mentionnions déjà dans les Folia d’octobre 2017, la durée optimale d’un traitement antibiotique n’est souvent pas connue. Seules des études randomisées évaluant l’efficacité de traitements plus courts par rapport à des traitements plus longs, dans des groupes de patients spécifiques, peuvent apporter une réponse claire.
Une étude4 française randomisée, menée en double aveugle en milieu hospitalier, chez des patients atteints d’une forme modérément sévère de pneumonie communautaire (PAC), montre que chez certains patients, une durée de traitement de 3 jours pourrait s’avérer suffisante. L'étude concernait des patients (n = 303, âge médian : 73 ans) stabilisés après 3 jours sous antibiothérapie par bêta-lactamines (amoxicilline + acide clavulanique oral ou i.v. chez 65 % des patients ; une céphalosporine de 3e génération par voie parentérale chez 35 % des patients). Pendant 5 jours supplémentaires, les patients ont reçu soit un placebo, soit de l'amoxicilline + acide clavulanique (1 g / 125 mg 3 x p.j. par voie orale). Le critère d’évaluation primaire était le pourcentage de patients guéris 15 jours après la première prise d’antibiotique : 77 % des patients dans le groupe placebo contre 68 % des patients dans le groupe traité. La différence entre les deux groupes rencontrait le critère de non-infériorité prédéfini. Les chercheurs concluent que chez les patients hospitalisés pour une PAC de sévérité modérée stabilisés à 3 jours de traitement, l’antibiothérapie par bêta-lactamines peut être arrêtée sans risque. Les auteurs de l'éditorial5 se rapportant à cette étude soulignent un certain nombre de lacunes (de nombreux patients sélectionnés ont finalement été exclus de l'étude en raison des critères stricts d'inclusion et d'exclusion, et le germe pathogène responsable n'est pas connu). Selon ces auteurs, il est trop tôt pour recommander la durée de traitement de 3 jours de manière systématique. L'auteur d'une analyse parue dans le NEJM J Watch6 estime que malgré les limites, un traitement de courte durée peut être envisagé chez les patients répondant aux critères d'inclusion de l'étude, et demande que des études complémentaires soient menées concernant la durée de l’antibiothérapie dans la PAC.

Commentaire du CBIP. Cette étude menée en milieu hospitalier ne fournit pas d'arguments suffisants pour réduire dès aujourd’hui la durée de l’antibiothérapie dans la PAC, mais incite à poursuivre les recherches à ce sujet.

Macrolides pendant la grossesse

Dans les Folia d'octobre 2020, nous avons fait état d'une étude (Fan et al.) qui suggérait une légère augmentation du risque d'anomalies congénitales (surtout cardio-vasculaires) chez les enfants dont la mère s'était vu prescrire un macrolide au cours du premier trimestre, par rapport aux enfants dont la mère s'était vu prescrire une pénicilline. En réponse à ces données inquiétantes, une étude de cohorte danoise7 a été menée à grande échelle : les investigateurs ont utilisé les données de registres nationaux concernant toutes les grossesses enregistrées entre 1997 et 2016 (environ 13 000 grossesses au cours desquelles un macrolide avait été prescrit). Les résultats ne montrent aucune augmentation du risque d’anomalies congénitales majeures chez les enfants dont la mère s’était vu prescrire un macrolide au cours du premier trimestre, par rapport aux différents groupes témoins (pénicilline V prescrite pendant la grossesse, macrolide prescrit avant la grossesse, absence de prescription antibiotique). L’analyse des sous-groupes d’anomalies congénitales spécifiques à un organe (p.ex. anomalies cardiaques) ou de macrolides spécifiques, n'a pas non plus montré d'augmentation du risque.

Commentaire du CBIP : les données de cette étude menée à grande échelle renforcent les données rassurantes sur l'utilisation des macrolides pendant la grossesse. Ceci correspond à ce que disent à ce sujet les sources utilisées pour notre rubrique « Grossesse » dans le Répertoire : Lareb, CRAT et Drugs in Pregnancy and Lactation (Briggs et al. édition 12) [dernière consultation le 15/09/21].


Sources spécifiques

Les fiches pour les médecins et pharmaciens. Site Web BAPCOC.
Spurling GKP, Del Mar CB et al. Delayed antibiotic prescriptions for respiratory infections. Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, Issue 9. Art. No.: CD004417. DOI: 10.1002/14651858.CD004417.pub5.
3 Stuart B, Hounkpatin H, Becque T et al. Delayed antibiotic prescribing for respiratory tract infections: individual patient data meta-analysis. BMJ 2021; 373:n808. Doi: 10.1136/bmj.n808
4 Dinh A, Ropers J et al. Discontinuing β-lactam treatment after 3 days for patients with community-acquired pneumonia in non-critical care wards (PTC): a double-blind, randomised, placebo controlled, non-inferiority trial. Lancet 2021;397:1195-203. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)00313-5 + supplementary appendix
5 Niederman MS en Mandell LA. Comment.  How low can we go in community-acquired pneumonia therapy? Lancet 2021;397: 1160-1. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)00627-9
6 Three-Day Treatment for Community-Acquired Pneumonia. Richard T. Ellison III, MD, reviewing Dinh A et al. Lancet 2021 Mar 27 Niederman MS and Mandell LA. Lancet 2021 Mar 27. https://www.jwatch.org/na53423/2021/04/07/three-day-treatment-community-acquired-pneumonia
7 Andersson NW, Olsen RH en Andersen JT. Association between use of macrolides in pregnancy and risk of major birth defects: nationwide, register based cohort study.  BMJ 2021;372:n107. Doi: 10.1136/bmj.n107