Dix ans plus tard, le point sur les antiviraux à action directe dans l’hépatite C

Les antiviraux à action directe (AAD) sur le virus de l'hépatite C (VHC) sont sur le marché belge depuis un peu plus de 10 ans.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est fixé pour objectif de réduire de 90% le nombre de nouvelles infections chroniques par le VHC et de 65% le nombre de décès d'ici 2030, par rapport au niveau de référence de 2015. Pour atteindre cet objectif, l’OMS propose notamment de renforcer le dépistage, et recommande un traitement par AAD comme traitement standard dans l’hépatite C.

Dans les études cliniques randomisées, les associations d’AAD ont une très grande efficacité (jusqu'à > 90%) sur la « réponse virologique soutenue » (RVS), définie comme une charge virale indétectable à 12 ou 24 semaines après l’arrêt du traitement antiviral.
On ne dispose pas d’études randomisées ayant utilisé des critères d'évaluation cliniques tels que la mortalité et la morbidité. Les inhibiteurs du VHC ont été associés à des réductions de morbidité et de mortalité, mais seulement dans des études observationnelles : réduction notamment de la cirrhose et du cancer du foie, et même réduction de la mortalité globale.
Idéalement, il faudrait pouvoir mener des études randomisées à long terme pour déterminer précisément l'effet des AAD sur des critères d’évaluation forts dans le traitement de l'hépatite C, mais pour des raisons éthiques, de telles études ne sont pas souhaitables. Davantage d'études observationnelles de bonne qualité restent nécessaires, notamment pour documenter le risque de rechute à long terme après la prise d’AAD.
Le coût élevé de ce traitement doit également être pris en compte pour évaluer correctement son rapport coût-bénéfice.

Objectif de l'OMS : éliminer l'hépatite C en tant que « problème de santé publique » d'ici 2030

Prévalence mondiale de l´hépatite C 

L’OMS estime qu’en 2019, 58 millions d’individus étaient porteurs chroniques du virus de l’hépatite C, et estime à 400 000 le nombre de personnes qui meurent chaque année des suites d’une infection chronique par le virus de l’hépatite C. Sur les 58 millions d’individus porteurs chroniques du virus de l’hépatite C, seuls 21% sont diagnostiqués et 13% sont traités1.

Que souhaite réaliser l'OMS ?

L'OMS s'est fixé l'objectif de réduire de 90% le nombre de nouvelles infections chroniques et de 65% le nombre de décès d'ici 2030, par rapport au niveau de référence de 2015. Pour atteindre cet objectif, l'OMS accorde une place importante aux traitements par AAD2.

Antiviraux à action directe

Mécanisme d'action

Les antiviraux à action directe (AAD) sur le virus de l'hépatite C (VHC) inhibent les protéines et les enzymes essentielles à la réplication du VHC. Les AAD disponibles ont 3 cibles virales (voir le tableau 1 en Plus d’infos)3.

On connaît 7 génotypes du VHC. En Belgique, le génotype 1 du VHC était le plus répandu (54%), suivi du génotype 3 (22%) et du génotype 4 (16%)4.
Le traitement se fait toujours par des associations d’AAD. Les associations dites "pangénotypiques" sont efficaces contre l’ensemble des génotypes2.
La durée de ces traitements varie de 8 à 24 semaines. Ces médicaments sont très onéreux et leur remboursement est strictement réglementé.

Dans une étude de prévalence réalisée en Belgique entre 2008 et 2015, sur base de 11 033 enregistrements, le génotype 1 était responsable de 54% des infections au VHC, le génotype 3 de 22%, le génotype 4 de 16%, le génotype 2 de 6%, le génotype 5 de 2%, et les génotypes 6 et 7 représentaient <1%.
Le schéma de traitement consiste en deux ou trois AAD ayant des cibles virales différentes afin de limiter l’émergence de résistance. Le tableau 1 reprend les associations fixes d’AAD disponibles en Belgique (situation au 09/01/23, toutes destinées à un usage oral). Le sofosbuvir est également disponible en monopréparation (Sovaldi®, à usage oral), qui doit toutefois être utilisée en association avec d'autres AAD.

En Belgique, les antiviraux à action directe sur le VHC sont remboursés chez tous les patients atteints d'hépatite C, y compris les porteurs sans atteinte hépatique. Les informations sur les modalités de remboursement sont visibles sur notre site web uniquement via les environnements de délivrance « Hôpital » et « Ambulatoire » (Voir Intro. 2.2.16.2 > Environnements de délivrance « Pharmacie publique », « Hôpital », « Ambulatoire » et « MRPA/MRS »).

Tableau 1. Associations d’AAD disponibles en Belgique (situation au 09/01/23)
 
Nom de spécialité Inhibiteur de la protéine NS5A du VHC Inhibiteur de la protéase NS3/4A du VHC Inhibiteur de la polymérase NS5B du VHC Efficace contre le génotype
Zepatier® elbasvir grazoprévir   1, 4
Maviret® pibrentasvir glécaprévir   tous les génotypes
Harvoni® lédipasvir   sofosbuvir 1, 3, 4, 5, 6
Epclusa® velpatasvir   sofosbuvir tous les génotypes
Vosevi® velpatasvir voxilaprevir sofosbuvir tous les génotypes
Sovaldi®     sofosbuvir En association : tous les génotypes

10 ans après leur commercialisation, que savons-nous du profil d’efficacité et d’innocuité des AAD ?

Efficacité des AAD

Une synthèse méthodique et méta-analyse d'études randomisées et observationnelles a été publiée en 20206.
Après 12 semaines de traitement avec des associations d’AAD pangénotypiques, une réponse virologique soutenue (RVS) a été obtenue chez 94% des participants porteurs des génotypes 1, 2 et 4. Chez les porteurs du génotype 3, une réponse virologique soutenue a été observée chez un peu moins de 90%. Ceci indépendamment du statut hépatique et de la présence de comorbidités. Dans toutes les études, les effets indésirables étaient peu nombreux et les taux d’abandon et de mortalité (inférieur à 1%) étaient globalement faibles6.

La synthèse méthodique résume les résultats de 63 études (109 publications), incluant des études cliniques randomisées et non randomisées (51 études), ainsi que des études observationnelles prospectives (23 études).
Vingt-deux études ont rapporté les résultats de personnes atteintes de cirrhose. La plupart de ces études concernaient une infection par le génotype 1. Un taux élevé de RVS (>90 %) a été observé dans cette sous-population. Les données sur les patients cirrhotiques infectés par le génotype 2-4 étaient très limitées et aucune déclaration ne peut être faite à ce sujet.
La synthèse méthodique a été parrainée par l'OMS. C'est sur la base de cette synthèse méthodique que l'OMS a révisé sa recommandation en 2018, dans laquelle elle conseille d’utiliser uniquement des préparations pangénotypiques.

Les auteurs d'une Cochrane Review (2017) (voir Folia de novembre 2017) sur le traitement de l'hépatite C par AAD, notent que les principales preuves d'efficacité et de sécurité proviennent d’études randomisées à court terme et d'études observationnelles. Des études cliniques à long terme sont nécessaires pour estimer correctement l'éradication virale obtenue avec le traitement par AAD7. Idéalement, il faudrait pouvoir mener des études randomisées à long terme pour déterminer précisément l'effet des AAD sur des critères d’évaluation forts dans le traitement de l'hépatite C. Pour mener de telles études, il faudrait que le groupe placebo reste non traité pendant une longue période, ce qui poserait un réel problème éthique. De telles études sont donc très non souhaitables. Des études observationnelles de qualité et à long terme constituent l'alternative. Nous abordons ici les études postérieures à 2017.

Plusieurs études observationnelles montrent une association entre le traitement par AAD et une forte réduction de la mortalité globale et de l'incidence du cancer du foie8,9,12. Chez les personnes déjà atteintes de fibrose hépatique à un stade avancé ou de cirrhose, l'incidence du cancer du foie n’avait pas diminué malgré l'éradication virale10. Certaines études ont montré une réduction de la probabilité d'un deuxième cancer du foie, après guérison du premier11.
Une étude observationnelle récente a également montré une association entre le traitement par AAD et une réduction des complications hépatiques, comme la cirrhose décompensée, et de complications non hépatiques, comme le diabète, l'insuffisance rénale chronique, les maladies cardiovasculaires et le cancer. La mortalité globale avait également diminué de moitié12.

Une étude de cohorte prospective française8 a inclus 9 895 patients atteints d'hépatite C chronique. La durée médiane du suivi était de 33,4 mois. Ont été exclus les patients atteints d'hépatite B chronique, les patients ayant des antécédents de cirrhose décompensée, de carcinome hépatocellulaire ou de transplantation hépatique, ainsi que les patients traités par interféron-ribavirine avec ou sans inhibiteurs de protéase de première génération.
Les critères d'évaluation primaires étaient la mortalité totale, l'incidence du carcinome hépatocellulaire et de la cirrhose décompensée. Le traitement par AAD a été associé à une réduction de la mortalité totale (rapport de hasards ajusté 0,48 ; IC à 95% de 0,33 à 0,77) et à une réduction de l'incidence du carcinome hépatocellulaire (rapport de hasards ajusté 0,66 ; IC à 95 % de 0,46 à 0,93) mais n'a pas été associé à une réduction de l'incidence de la cirrhose décompensée8.

Une étude de cohorte rétrospective américaine (décembre 2013 à mars 2017)9 a inclus 103 346 patients atteints d'hépatite C chronique, sans cirrhose, décompensation hépatique, carcinome hépatocellulaire ou antécédents de transplantation hépatique. Dans cette étude, la RVS a été associée à une réduction de la mortalité globale par rapport aux patients n'ayant pas obtenu de RVS (rapport de hasards 0,44 ; IC à 95% de 0,32 à 0,59) et par rapport aux patients non traités (rapport de hasards 0,32 ; IC à 95% de 0,29 à 0,36)9.

Une vaste étude de cohorte rétrospective (janvier 2010 à mars 2021)12 a inclus 245 596 adultes atteints d'hépatite C chronique, dont 40 654 au total avaient reçu au moins 1 prescription d’AAD.
Les critères d'évaluation primaires étaient (1) l'incidence des complications hépatiques telles que carcinome hépatocellulaire et cirrhose décompensée et (2) la mortalité globale. Les critères d'évaluation secondaires étaient l'incidence des complications non hépatiques, tels que les cancers autres que le carcinome hépatocellulaire, l'insuffisance rénale terminale, les maladies cardiovasculaires et le diabète.
Le traitement par AAD a été associé à une réduction significative du risque de :
  • carcinome hépatocellulaire (rapport de hasards ajusté 0,73 ; IC à 95% de 0,68 à 0,77)
  • cirrhose décompensée (rapport de hasards ajusté 0,36 ; IC à 95% de 0,35 à 0,38)
  • diabète (rapport de hasards ajusté 0,74 ; IC à 95% de 0,70 à 0,77)
  • insuffisance rénale chronique (rapport de hasards ajusté 0,81 ; IC à 95% de 0,78 à 0,85)
  • maladie cardiovasculaire (rapport de hasards ajusté 0,90 ; IC à 95 % de 0,86 à 0,94)
  • cancer (autre que carcinome hépatocellulaire) (rapport de hasards ajusté 0,89 ; IC à 95% de 0,85 à 0,94)
  • mortalité globale (rapport de hasards ajusté 0,43 ; IC à 95% de 0,42 à 0,45).

Des données limitées indiquent que les rechutes 6 mois après l'obtention d'une RVS sont très rares (<0,2 %). Lorsqu'une RVS est obtenue, à 8 ou 12 semaines de traitement, on peut donc s'attendre à un faible risque de rechute tardive. Davantage d’études à long terme sont nécessaires pour le confirmer3.

Sécurité des AAD

L'utilisation à court terme des AAD est associée à des effets indésirables légers tels que fatigue, insomnie, céphalées et troubles gastro-intestinaux. Les effets indésirables graves sont rares (voir 11.4.5 Médicaments de l'hépatite C chronique > rubrique Effets indésirables)3.
 
Il n’existe pas suffisamment d'études observationnelles de longue durée et de grande taille sur la sécurité à long terme des AAD pour pouvoir se prononcer à ce sujet. La sécurité doit être plus fréquemment incluse comme critère d'évaluation dans les études observationnelles futures.
 
Il n'est pas possible de se prononcer sur la sécurité d’emploi des AAD pendant la grossesse ou la période d'allaitement (absence de données ou données insuffisantes)13,14.

Conclusion sur l'utilisation des AAD

  • L'OMS accorde une place importante au traitement par AAD dans la stratégie d’élimination de l'hépatite C en tant que « problème de santé publique » d'ici 2030.

  • Dans les études cliniques randomisées à court terme, les associations d’AAD ont une très grande efficacité virologique (jusqu'à plus de 90%) sur la « réponse virologique soutenue » (RVS), définie comme une charge virale indétectable.

  • Il reste cependant à confirmer si les patients ayant obtenu une RVS ont également un risque plus faible de morbidité liée à l'hépatite C (cirrhose, décompensation hépatique, carcinome hépatocellulaire), de mortalité globale et de rechute.

  • Dans les études observationnelles, le traitement par AAD est associé à une réduction importante de la mortalité globale, de l'incidence du carcinome hépatocellulaire et d'autres morbidités. D'autres études observationnelles de bonne qualité et portant sur tous les sous-groupes de patients restent nécessaires pour confirmer ces observations.

  • Les effets indésirables d’un traitement par AAD à court terme sont légers. Les effets à long terme doivent être évalués de manière plus approfondie dans le cadre d'études observationnelles à grande échelle. La sécurité d'emploi pendant la grossesse ou la période d'allaitement n'est pas établie.

Références

WHO publishes updated guidance on hepatitis C infection – with new recommendations on treatment of adolescents and children, simplified service delivery and diagnostics. News 24/06/22
Aust Prescr 2021;44:36–7 https://doi.org/10.18773/ austprescr.2021.003
Direct werkende antivirale middelen bij chronische hepatitis C. Ge-Bu 2022. 2 (56) : 9-12.
4 WIV-ISP – Rapport annuel 2016: virus de l’hépatite C. Rapport 09/2017
5 Rockey DC et al. Fibrosis regression after eradication of hepatitis C virus: from bench to bedside. Gastroenterology 2021;160:1502-1520.

6 Zoratti et al. Pangenotypic direct acting antivirals for the treatment of chronic hepatitis C virus infection: A systematic literature review and meta-analysis. EClinicalMedicine. 2020 Jan 5;18:100237; DOI: https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2019.12.007 https://www.thelancet.com/journals/eclinm/article/PIIS2589-5370(19)30242-1/fulltext
7 Jakobsen JC, Nielsen EE, Feinberg J, Katakam KK, Fobian K, Hauser G, Poropat G, Djurisic S, Weiss KH, Bjelakovic M, Bjelakovic G, Klingenberg SL, Liu JP, Nikolova D, Koretz RL, Gluud C. Direct‐acting antivirals for chronic hepatitis C. Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, Issue 9. Art. No.: CD012143. DOI: 10.1002/14651858.CD012143.pub3. Accessed 21 December 2022.
8 Carrat F, Fontaine H, Dorival C, Simony M, Diallo A, Hezode C, et al. French ANRS CO22 Hepather cohort. Clinical outcomes in patients with chronic hepatitis C after direct-acting antiviral treatment: a prospective cohort study. Lancet. 2019 Apr 6;393(10179):1453-1464. doi: 10.1016/S0140-6736(18)32111-1.
9 Backus LI, Belperio PS, Shahoumian TA, Mole LA. Direct-acting antiviral sustained virologic response: Impact on mortality in patients without advanced liver disease. Hepatology. 2018 Sep;68(3):827-838. doi: 10.1002/hep.29811.
10 Ioannou GN et al. Increased risk for hepatocellular carcinoma persists up to 10 years after hepatitis C virus eradication in patients with baseline cirrhosis of high FIB-4 scores. Gastroenterology 2019;157:1264-1278.
11Imai K et al. Sustained virological response by direct-acting antivirals reduces the recurrence risk of hepatitis C-related hepatocellular carcinoma after curative treatment. Molecular and Clinical Oncology 2020;12:111-116.
12 Ogawa E, Chien N, Kam L, et al. Association of Direct-Acting Antiviral Therapy With Liver and Nonliver Complications and Long-term Mortality in Patients With Chronic Hepatitis C. JAMA Intern Med. Published online December 12, 2022. doi:10.1001/jamainternmed.2022.5699
13 Lareb. Antivirale middelen bij hepatitis C tijdens de zwangerschap. Accessed January 04, 2023. site Web du Lareb.
14 Lareb. Antivirale middelen bij hepatitis C tijdens de borstvoedingsperiode. Accessed February 21, 2023. site Web du Lareb.