L’analyse du suivi sur 20 ans des études Women’s Health Initiative révèle un risque accru de cancer du sein chez les femmes ayant suivi le traitement substitutif estroprogestatif au cours des études randomisées, et une légère réduction de ce risque chez les femmes ayant suivi le traitement avec estrogène seul.
Il n’est toujours pas clair si le traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause augmente le risque de cancer du sein. Récemment, les résultats ont été publiés d’une analyse de suivi sur 20 ans de deux études randomisées qui avaient été interrompues prématurément en 2002 et 2004 en raison d’un rapport bénéfice/risque négatif. Cette analyse de suivi montre, sur 20 ans, un risque accru de cancer du sein chez les femmes ayant reçu le traitement substitutif estroprogestatif au cours des études randomisées, et un risque légèrement plus faible chez les femmes ayant reçu l’estrogène seul. Il ressort généralement des études non randomisées à ce sujet que tant le traitement substitutif estroprogestatif que le traitement substitutif avec estrogène seul sont associés à un risque accru de cancer du sein (bien que l’augmentation de ce risque soit moins prononcée avec l’estrogène seul).

De nombreuses incertitudes subsistent quant aux risques liés à un traitement hormonal de substitution (THS), en particulier concernant l’association possible entre le THS et un risque accru de cancer du sein et du taux de mortalité qui y est associé. Une étude a été publiée récemment à ce sujet dans le JAMA (28 juillet 2020)1. La publication du JAMA traite du suivi sur 20 ans de 2 études randomisées menées chez des femmes ménopausées âgées de 50 à 79 ans, dans le cadre de la Women’s Health Initiative (WHI).

Plus d’infos concernant les définitions et les abréviations
 Rapport de hasards (RH) ou hazard ratio (HR): il s’agit du rapport entre le taux de risque (risque d’un effet indésirable, par exemple le cancer du sein, par unité de temps) dans un groupe traité (p.ex. THS) et le taux de risque dans le groupe témoin (p.ex. placebo). Par exemple, un rapport de hasards de 2 signifie qu’à tout moment, une personne du groupe traité a deux fois plus de risque de présenter l’effet indésirable qu’une personne du groupe témoin.
– Intervalle de confiance à 95% (IC à 95%): indique la fourchette de valeurs à l’intérieur de laquelle la valeur réelle du RH se situe avec une probabilité de 95%.  Si 1 se situe dans cet intervalle de confiance, la valeur trouvée n’est pas statistiquement significative. Les valeurs extrêmes de l’intervalle de confiance indiquent le degré de précision de l’estimation de la valeur réelle (plus l’IC est étroit, plus l’estimation est précise).

Les études WHI (Women’s Health Initiative)

À l’époque, ces études randomisées avaient révélé une augmentation statistiquement significative du risque de cancer du sein avec le THS composé d’un estrogène + un progestatif, et une réduction du risque avec le THS composé d’un estrogène seul (réduction juste en dessous du seuil de signification statistique).

L’une des études WHI incluait 16.608 femmes non hystérectomisées, randomisées entre une association d’estrogènes conjugués (0,625 mg p.j.) + acétate de médroxyprogestérone (2,5 mg p.j.) et un placebo (JAMA 2002). L’analyse de cette étude randomisée révélait une diminution du risque de fractures de la hanche et du risque de cancer colorectal, mais une augmentation du risque cardio-vasculaire et cérébro-vasculaire et du risque d’embolie pulmonaire, ainsi qu’un risque accru de cancer du sein invasif. Pour le cancer du sein, le rapport de hasards (RH) était de 1,26 (IC à 95%: 1,00 à 1,59), ce qui correspond à 8 cas de cancer du sein en plus sur 10.000 années-patients. Le rapport bénéfice/risque ayant été jugé négatif, l’étude a été interrompue prématurément en 2002, après en moyenne 5,2 ans [voir Folia novembre 2002 et octobre 2003].
– L’autre étude WHI incluait 10.739 femmes hystérectomisées, randomisées entre un traitement avec des estrogènes conjugués (0,625 mg par jour) et un placebo (JAMA 2004). L’étude révélait une réduction du risque de fracture de la hanche, mais une augmentation du risque cérébro-vasculaire. On a constaté une réduction de l’incidence du cancer du sein, avec un RH de 0,77 (IC à 95%: 0,59 à 1,01), ce qui correspond à 7 cas de cancer du sein en moins sur 10.000 années-patients. Cette réduction du risque de cancer du sein était tout juste non significative d’un point de vue statistique. L’étude a été arrêtée en 2004 pour des raisons de sécurité, après en moyenne 7 ans [voir Folia février 2007].
– Le faible taux de mortalité par cancer du sein dans les deux études ne permettait pas d’analyse statistique à ce sujet.

L’analyse de la période de suivi après 20 ans

Dans les années qui ont suivi la publication des données randomisées des études WHI et donc l’arrêt du traitement médicamenteux (2002 et 2004), les femmes ont fait l’objet d’un suivi en termes de risque de cancer du sein, et plusieurs analyses ont confirmé ce qui avait été constaté lors de l’arrêt des études randomisées. Le JAMA (28 juillet 2020)1 vient de publier les résultats du suivi pendant environ 20 ans après l’arrêt des études randomisées. Il convient de noter qu’environ 4% des femmes ont suivi un THS durant les années qui ont suivi l’arrêt des études randomisées.
Les auteurs résument les résultats de leur analyse comme suit.

  • Estrogène + progestatif. L’incidence du cancer du sein sur 20 ans était statistiquement significativement plus élevée chez les femmes qui avaient reçu le THS estroprogestatif pendant l’étude randomisée, par rapport aux femmes ayant appartenu au groupe placebo. En termes de mortalité liée au cancer du sein, on n’a pas observé de différence statistiquement significative.

  • Estrogène seul. L’incidence du cancer du sein et de la mortalité liée au cancer du sein sur 20 ans était statistiquement significativement plus faible chez les femmes ayant reçu le THS avec estrogène seul pendant l’étude randomisée, par rapport aux femmes ayant appartenu au groupe placebo.

    – Estrogène + progestatif. Par rapport au placebo, l’incidence du cancer du sein après 20 ans était statistiquement significativement plus élevée : 584 cas/8.506 femmes (6,8%) contre 447 cas/8.102 femmes (5,5%) (RH 1,28 ; IC à 95% : 1,13 à 1,45, ce qui correspond à 9 cas de cancer du sein en plus sur 10.000 années-patients). En termes de mortalité liée au cancer du sein, on n’a pas observé de différence statistiquement significative : 71 décès/8.506 femmes (0,83%) contre 53 décès/8.102 femmes (0,65%) (RH 1,35 ; IC à 95% : 0,94 à 1,95).
    – Estrogène seul. Par rapport au placebo, l’incidence du cancer du sein après 20 ans était statistiquement significativement plus faible : 238 cas/5.310 femmes (4,4%) contre 296 cas/5.429 femmes (5,4%) (RH 0,78 ; IC à 95% : 0,65 à 0,93), ce qui correspond à 7 cas de cancer du sein en moins sur 10.000 années-patients. La mortalité liée au cancer du sein était également statistiquement significativement plus faible : 30 décès/5.310 femmes (0,56%) contre 46 décès/5.429 femmes (0,84%) (RH 0,60 ; IC à 95% : 0,37 à 0,97), ce qui correspond à 2 cas en moins de décès lié au cancer du sein sur 10.000 années-patients.

Les auteurs de l’analyse du suivi sur 20 ans des deux études randomisées signalent que leurs résultats concernant le traitement à base d’estrogène seul diffèrent des résultats d’une méta-analyse récemment publiée d’études observationnelles prospectives (donc non randomisées), et des résultats d’une nouvelle analyse de la Million Women Study (toutes deux abordées dans les Folia de novembre 2019). En effet, dans ces études non randomisées, le THS avec estrogène seul était lui aussi associé à un risque accru de cancer du sein, même si l’augmentation du risque était moins prononcée qu’avec le THS estroprogestatif. Selon les auteurs de l’analyse du suivi sur 20 ans, cette divergence pourrait notamment s’expliquer par les différences au niveau de l’âge auquel est débuté le THS (âge moyen plus élevé dans les études randomisées), l’intervalle entre la ménopause et le début du THS, ou la fréquence du dépistage mammographique (et donc de la probabilité de détecter un cancer du sein).

L’éditorial accompagnant l’analyse du suivi sur 20 ans

L’analyse du suivi sur 20 ans soulève plusieurs questions, qui sont approfondies dans l’éditorial2 correspondant. Les auteurs de l’éditorial soulignent que même avec ces nouvelles informations, la décision de mettre en place ou non un THS à long terme reste une décision complexe, même chez les femmes qui, ayant été hystérectomisées, peuvent être traitées avec un estrogène seul.

L’éditorial aborde un certain nombre de questions soulevées par l’analyse.
– La très faible observance thérapeutique dans les études randomisées WHI : dans l’étude sur le THS estroprogestatif p.ex., 42% des patientes ont arrêté le traitement étudié de manière précoce.
– La divergence, concernant le THS avec estrogène seul, entre les résultats du suivi de l’étude WHI dont il est question ici (réduction – bien que modeste – du risque de cancer du sein) et les résultats des études non randomisées (augmentation du risque de cancer du sein).
– La question de savoir comment le fait d’avoir pris des hormones pendant quelques années, peut encore, 20 ans après, influencer le risque de cancer du sein et de la mortalité qui y est associée.
– L’importance que pourrait peut-être avoir la modeste réduction du taux de mortalité observée avec l’estrogène seul au niveau de la population.
– Le fait que les indications adéquates du THS restent difficiles à définir, même avec ces nouvelles informations. Par ailleurs, il n’existe aucune donnée concernant l’effet du THS sur le risque de cancer du sein chez les femmes présentant des facteurs de risque de cancer du sein, par exemple une prédisposition génétique. D’autres éléments sont également à prendre en compte, outre le risque de cancer du sein, dans la décision de mettre en place ou non un THS à long terme, tels que le risque d’accidents vasculaires cérébraux et de thromboembolie.

Commentaires du CBIP

En quoi ces nouvelles données influencent-elles ce que nous avons déjà écrit à ce sujet dans les Folia?
Dans les Folia de novembre 2019, nous abordions le suivi d’études observationnelles, donc non randomisées, publié dans le Lancet d’août 2019. Dans cet article des Folia, le CBIP émettait l’avis suivant: « Le CBIP est d’avis que le THS peut avoir une place comme traitement à court terme (< 1 an) des troubles gênants liés à la ménopause. Cette décision doit être prise en consultation avec la patiente et la nécessité de continuer le traitement doit être évaluée régulièrement. […] Si le THS est envisagé sur une longue période (> 1 an et certainement > 5 ans), par exemple en prévention de l’ostéoporose, le rapport bénéfice/risque doit être discuté avec la patiente : celle-ci doit être clairement informée du risque accru de cancer du sein (et de thromboembolie). » Cette mise en garde a été rappelée dans les Folia de février 2020. Les résultats du suivi sur 20 ans des études WHI ne changent pas cet avis du CBIP.

NOTE

  • Les produits de THS utilisés dans ces études ne sont plus ceux qui sont utilisés aujourd’hui en Belgique dans le cadre du THS.

  • Il convient de rappeler que l’option « estrogène seul » ne peut être envisagée que chez les femmes ayant subi une hystérectomie, étant donné que l’utilisation d’estrogènes sans progestatif entraîne une hyperplasie de l’endomètre et un risque accru de cancer de l’endomètre.

  • Dans les Folia d’août 2020, nous mentionnons les recommandations du PRAC (le Comité de pharmacovigilance de l’EMA, l’Agence européenne des médicaments) concernant le renforcement, dans les RCP, des mises en garde contre les risques liés au THS en termes de cancer du sein. Ces recommandations du PRAC s’appuient sur les données susmentionnées d’études non randomisées.

Sources spécifiques

1 Chlebowski RT, Anderson GL, Aragaki AK et al. Association of Menopausal Hormone Therapy With Breast Cancer Incidence and Mortality During Long-term Follow-up of the Women’s Health Initiative Randomized Clinical Trials. JAMA 2020;324:369-80 (doi: 10.1001/jama.2020.9482)
2 Minami CA en Freedman RA. Menopausal Hormone Therapy and Long-term Breast Cancer Risk. Further Data From the Women’s Health Initiative Trials. Editorial. JAMA 2020;324:347-8 (doi: 10.1001/jama.2020.9620)