Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne

Le mois d’octobre est le moment idéal pour rappeler l’importance de l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections (aiguës) des voies respiratoires. Le présent article aborde également (1) le rapport du jury de la réunion de consensus « L’usage rationnel des antibiotiques chez l’enfant en ambulatoire » (INAMI, 2016), (2) la place des antibiotiques chez les enfants atteints d’une otite séromuqueuse, (3) la place des antibiotiques en cas de bronchite aiguë et (4) les discussions récentes concernant la durée des cures d’antibiotiques, et ce suite à un article récent paru dans le BMJ.

Usage plus rationnel des antibiotiques

- Un usage plus rationnel des antibiotiques dans les infections des voies respiratoires constitue l’un des piliers de la prise en charge de la problématique de la résistance. On entend par là une réduction de l’usage des antibiotiques en général, mais aussi et plus spécifiquement, des quinolones et de l’association « amoxicilline + acide clavulanique ».
- A partir du mois d’octobre, les médecins généralistes belges peuvent suivre la formation online « moins d’antibiotiques de manière sûre », une courte formation visant à aider les médecins généralistes à prescrire moins d’antibiotiques de manière sûre chez l’adulte (soutenue entre autres par BAPCOC ; via www.e-learninghealth.be). Sur www.antibioticguardian.com/french, tout le monde est invité à s’engager à combattre la résistance aux antibiotiques.
- Certaines caractéristiques chez les médecins et les patients semblent favoriser une prescription plus fréquente d’antibiotiques.

  • Un usage plus rationnel d’antibiotiques dans les infections des voies respiratoires constitue l’un des piliers de la prise en charge de la problématique de la résistance [voir Folia d'octobre 2016]. Bien que l’usage des antibiotiques dans le secteur ambulatoire ait diminué depuis 2000 en Belgique, il reste élevé. En 2014, BAPCOC a fixé comme objectif une forte diminution de l’usage des antibiotiques (aussi bien l’usage global que l’usage spécifique des quinolones et de l’association « amoxicilline + acide clavulanique ») dans le secteur ambulatoire d’ici 2025 [voir site Web de BAPCOC, Folia d'octobre 2015, et Folia d'october 2016 concernant l’usage d’antibiotiques chez l’enfant en ambulatoire (chiffres de 2014)].

  • La problématique de la surconsommation d’antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires ne se limite pas à la Belgique ou à l’Europe. C’est ce qu’illustrent à nouveau deux études observationnelles récemment publiées (une étude canadienne1 et une étude américaine2). Les deux études révèlent en outre que, dans de nombreux cas, les antibiotiques prescrits ne sont pas les antibiotiques de premier choix, et ce sans raison valable telle qu’une allergie à la pénicilline par exemple. Il ressort de l’étude canadienne1 que les médecins qui pratiquaient depuis plus de 10 ans, qui voyaient plus de 25 patients par jour et qui avaient obtenu leur diplôme ailleurs qu’aux Etats-Unis ou au Canada, étaient les plus gros prescripteurs d’antibiotiques ; les raisons n’en sont pas claires. Le fait que certaines caractéristiques chez les médecins, mais aussi chez les patients, semblent influencer la prescription d’antibiotiques, n’est pas une nouveauté. Une analyse de données de prescription belges (période 2002-2009) montre que des caractéristiques du patient (âge, sexe, classe sociale) et du médecin (âge, sexe, région en Belgique et qualification) influencent le choix pour l’amoxicilline ou pour des antibiotiques à large spectre.1b

Rapport du jury de la réunion de consensus « Usage rationnel des antibiotiques chez l’enfant en ambulatoire » (INAMI, 2016)

Le rapport du jury3 fournit des recommandations pour un usage rationnel des antibiotiques chez l’enfant dans un certain nombre d’infections courantes des voies respiratoires. Les recommandations correspondent assez bien à celles formulées par BAPCOC4, et lorsque les avis sont divergents, ceux-ci ne remettent pas en question, selon le CBIP, les recommandations de BAPCOC.

En 2016, le Comité d’évaluation des pratiques médicales en matière de médicaments (CEM) de l’INAMI a organisé une réunion de consensus sur l’usage rationnel des antibiotiques chez l’enfant en ambulatoire. Le rapport du jury (texte court, texte long)3 fournit les recommandations du jury, qui reposent sur les preuves disponibles et l’avis d’experts. Pour un certain nombre d’infections courantes des voies respiratoires chez l’enfant (entre autres angine, otite moyenne aiguë, rhinosinusite, pneumonie acquise en communauté), on explique notamment dans quelles situations un antibiotique peut être indiqué, quel antibiotique constitue alors le premier choix et quelles sont les alternatives, quelle est la posologie recommandée, quels facteurs (p.ex. l’âge) influencent la prise en charge, et dans quels cas il est souhaitable de renvoyer le patient vers un spécialiste.
Commentaire du CBIP. Les recommandations concernant le choix et la posologie des antibiotiques dans les infections des voies respiratoires sont parfois peu étayées, p.ex. en raison du manque d’études tenant compte des données locales en termes de résistance, et elles doivent parfois être formulées sur base d’un consensus. C’est pourquoi les recommandations formulées par les différentes instances peuvent d’une certaine manière varier entre elles, et être pourtant toutes défendables. Les recommandations dans le rapport du jury correspondent assez bien à celles formulées par BAPCOC4. Certaines différences mineures concernent la posologie des antibiotiques et le choix des antibiotiques de deuxième intention, mais elles ne sont pas en mesure de remettre en question les recommandations de BAPCOC. Dans le Répertoire Commenté des Médicaments, les recommandations de BAPCOC restent la première source pour nos avis sur les groupes d’antibiotiques.

Antibiotiques en cas d’otite moyenne séromuqueuse?

Dans la revue d'Evidence-Based Medicine Minerva, une Cochrane Review récente concernant les antibiotiques chez l’enfant atteint d’otite moyenne séromuqueuse a été discutée. La conclusion est que les antibiotiques augmentent peut-être les chances de résolution complète, mais au prix d’effets indésirables, et sans preuves d’un effet sur la nécessité d’un drain transtympanique ou sur le développement de la parole et du langage.

L’otite moyenne séromuqueuse (OMS ou OME pour otite moyenne avec effusion) est une complication assez fréquente de l’otite moyenne aiguë. L’OMS se caractérise par une accumulation de liquide dans l’oreille moyenne, sans signes d’une infection aiguë. Certaines études suggèrent que l’OMS aurait une origine bactérienne; raison pour laquelle l’effet des antibiotiques (par voie orale) dans le traitement de l’OMS a été évalué dans plusieurs études. Dans Minerva5, une revue indépendante d’Evidence-Based Medicine (EBM), une Cochrane Review (2016)6 récente concernant la place des antibiotiques chez les enfants atteints d’OMS a été discutée. Nous citons ici la conclusion de Minerva “Pour la pratique”: “Certains guides de pratique clinique ne mentionnent pas l’utilisation d’antibiotiques (Duodecim Medical Publications7) pour le traitement de l’otite moyenne séromuqueuse (OMS) chez l’enfant, et d’autres la déconseillent tant en première ligne (NHG-Standaard otitis media met effusie8) qu’en deuxième ligne (American Academy of Otolaryngology—Head and Neck Surgery Foundation9). Cette synthèse méthodique montre que l’utilisation d’antibiotiques en cas d’OMS s’accompagne d’une plus grande probabilité de résolution complète de l’OMS, mais au prix d’un risque accru d’effets indésirables. En outre, il n’y a pas de preuves indiquant que ce gain conduirait à une diminution de la nécessité de drains transtympaniques, et on ignore l’effet sur l’audition, le développement du langage, de la parole et le développement cognitif. Il n’existe pas de données concernant le risque potentiel sur le développement de résistances bactériennes.”

Antibiotiques en cas de bronchite aiguë non compliquée?

- Une Cochrane Review (2017) a constaté qu’en cas de bronchite aiguë non compliquée, le bénéfice escompté avec les antibiotiques est marginal par rapport au placebo.
- ​Une étude observationnelle montre qu’en cas d’infections non compliquées des voies respiratoires inférieures (définies dans cette étude par une toux aiguë récente), une attitude d’expectative en termes d’antibiothérapie est aussi sûre que l’instauration immédiate d’antibiotiques.

Dans le monde entier, les antibiotiques restent fréquemment prescrits aux patients présentant une bronchite aiguë non compliquée, se manifestant typiquement par une toux aiguë. Les recommandations belges concernant l’usage d’antibiotiques dans la bronchite aiguë sont claires: un traitement antibiotique n’est pas recommandé ni chez les enfants, ni chez les adultes.3,4 Deux publications récentes confirment que le bénéfice des antibiotiques est marginal.

  • Dans une mise à jour de la Cochrane Review (2017) sur les antibiotiques dans la bronchite aiguë10 la conclusion est que par rapport au placebo, on peut s’attendre avec les antibiotiques tout au plus à un bénéfice marginal sur des critères d’évaluation liés à la toux, (p.ex. diminution de la durée de la toux d’une demi-journée tout au plus), tandis que les effets indésirables (principalement gastro-intestinaux) sont plus fréquents. Les auteurs signalent qu’il est impossible de se prononcer sur l’utilité des antibiotiques chez les patients âgés vulnérables présentant une importante comorbidité, parce qu’ils ont été exclus des études; même chez ces patients, selon les auteurs, tout bénéfice éventuel doit être évalué par rapport aux effets indésirables possibles, la médicalisation d’une maladie spontanément résolutive, le risque accru de résistance et le coût d’un traitement antibiotique. La crainte de voir apparaître plus fréquemment des complications graves en prescrivant moins d’antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires n’est pas confirmée par les données des études, et à condition de rester vigilant en ce qui concerne la présence de facteurs de risque et les signaux d’alarme, la prescription réduite d’antibiotiques semble pouvoir se faire de manière sûre [voir aussi Folia d'octobre 2016].

  • Ce même problème a été abordé dans une récente étude observationnelle britannique11 menée chez des patients ≥ 16 ans atteints d’une infection non compliquée des voies respiratoires inférieures (définie dans cette étude par une toux d’apparition récente ou s’aggravant pendant 3 semaines ou moins, sans comorbidité importante). Par rapport à la délivrance immédiate d’une prescription antibiotique, l'abstention de prescription d’antibiotiques ou la délivrance d’une « prescription différée » n’a abouti dans aucun des deux cas à une augmentation du nombre d’hospitalisations ou de décès dans les 30 jours. Les patients ayant reçu une « prescription différée » revenaient moins fréquemment voir leur médecin en raison d’une aggravation des symptômes que les patients ayant reçu immédiatement une prescription d’antibiotique ou que ceux qui n’en avaient reçu aucune.

Discussions concernant la durée des cures d’antibiotiques

D’après un article récent paru dans le BMJ, la recommandation habituelle de toujours achever complètement une cure d’antibiotiques doit être abandonnée. Des experts estiment cependant que ce message doit être nuancé vu que l’arrêt précoce d’une cure d’antibiotiques, p. ex. dès que les symptômes ont disparu, n’est certainement pas sans risque dans toutes les infections.

[Déjà paru dans la rubrique “Bon à savoir” sur notre site le 04/08/17]

La presse a accordé une attention particulière à propos d’un article paru récemment dans le BMJ, intitulé “The antibiotic course has had its day”.12 Le message de cet article est que la recommandation classique de toujours achever complètement une cure d’antibiotiques doit être abandonnée. L’argument sur lequel repose cette assertion est qu’il n’est pas prouvé que le fait d’interrompre prématurément une cure d’antibiotiques contribue au développement de résistance.

L’article a été repris dans les médias. Des experts belges et quelques auteurs de “rapid responses13 à l’article du BMJ s’accordent à dire que le message de l’article du BMJ peut avoir des conséquences néfastes en cas de mauvaise interprétation. Il n’est en effet pas prouvé que le fait de ne pas achever complètement la durée prévue d’une cure d’antibiotiques conduise à une augmentation du développement de résistance, et les données concernant la durée optimale d’un traitement sont souvent faibles. Il n’est cependant pas du tout clair sur quelles données on peut se baser pour déterminer la durée optimale. Interrompre la prise d’antibiotiques dès que les symptômes disparaissent n’est certainement pas sans danger pour toutes les infections. Il est difficile de définir quels sont les éléments qui déterminent la durée d’un traitement antibiotique. Seules des études évaluant l’efficacité de traitements plus courts par rapport à des traitements plus longs dans des groupes de patients spécifiques pourront apporter une réponse claire.

Il est communément admis qu’éviter l’emploi inutile d’antibiotiques (entre autres dans les infections des voies respiratoires supérieures) reste la priorité étant donné qu’il s’agit là du principal facteur de développement de résistance bactérienne.

 

Sources spécifiques

1 Silverman M, Povitz M, Sontrop JM, Lihua L. et al. Antibiotic prescribing for nonbacterial acute upper respiratory infections in elderly persons. Ann Intern Med 2017;166:765-74 (doi: 10.7326/M16-1131), avec edito Jones BE et Samore MH. Antibiotic overuse: clinicians are the solution. Ann Intern Med 2017;166(11):844-45 (doi: 10.7326/M17-1061)
1b Blommaert A, Coenen S, Gielen B, Goossens H et al. Patient and prescriber determinants for the choice between amoxicillin and broader-spectrum antibiotics: a nationwide prescription-level analysis. J Antimicrob Chemother 2013;68:2383–92 (doi:10.1093/jac/dkt170)
2 Hersh AL, Fleming-Dutra KE, Shapiro DJ, Hyun DY et al.  Frequency of first-line antibiotic selection among US ambulatory care visits for otitis media, sinusitis, and pharyngitis. JAMA Intern Med 2016; 176:1870-2 (doi:10.1001/jamainternmed.2016.6625)
3 Comité d'évaluation des pratiques médicales en matière de médicaments (CEM) de l’INAMI. Réunion de consensus “L’usage rationnel des antibiotiques chez l’enfant en ambulatoire”. Voir, sur le site Web de l’INAMI, le rapport du jury texte court, texte long), ainsi que la brochure orateurs et l’étude de la littérature (texte complet; résumé). 
4 BAPCOC. Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire - édition 2012. Via  http://organesdeconcertation.sante.belgique.be/fr/organe-d'avis-et-de-concertation/commissions/bapcoc > Publications > Etudes > 2012
5 Antibiotiques en cas d’otite moyenne séromuqueuse chez l’enfant. Minerva 2017;16:88-91, via http://www.minerva-ebm.be/FR/Article/2105
6 Venekamp RP, Burton MJ, van Dongen TM, et al. Antibiotics for otitis media with effusion in children. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 6 (doi: 10.1002/14651858.CD009163.pub3)
7 Drains transtympaniques. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 12/03/2012. Dernière revue contextuelle: 12/03/2012.
8 Venekamp RP, Damoiseaux RA, Schoch AG, et al. NHG-Standaard Otitis media met effusie bij kinderen (Derde herziening). Huisarts Wet 2014;57:649.
9 Rosenfeld RM, Shin JJ, Schwartz SR, et al. Clinical Practice Guideline: Otitis media with effusion executive summary (update). Otolaryngol Head Neck Surg 2016;154:201-14. doi: 10.1177/0194599815624407
10 Smith SM, Fahey T, Smucny J, Becker LA. Antibiotics for acute bronchitis. Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, Issue 6. Art. No.: CD000245. doi: 10.1002/14651858.CD000245.pub4.
11 Little P, Stuart B, Smith S, Thompson MJ et al. Antibiotic prescription strategies and adverse outcome for uncomplicated lower respiratory tract infections: prospective cough complication cohort (3C) study. BMJ 2017;357:j2148 (doi: 10.1136/bmj.j2148)
12 Llewelyn MJ, Fitzpatrick JM, Darwin E, Tonkin-Crine S et al. Analysis. The antibiotic course has had its day BMJ 2017;358:j3418 (doi: 10.1136/bmj.j3418)
13 http://www.bmj.com/content/358/bmj.j3418/rapid-responses