Effets favorables sur critères d’évaluation cardio-vasculaires avec l’inhibiteur de la PCSK9 alirocumab (Praluent®) dans l’étude ODYSSEY OUTCOMES: une analyse critique est importante

Les résultats de l’étude ODYSSEY OUTCOMES sur l’inhibiteur de la PCSK9 hypolipidémiant alirocumab vont dans le même sens que ceux de l’étude FOURIER sur l’évolocumab: ils révèlent, chez des patients ayant préalablement présenté un syndrome coronarien aigu et recevant déjà un traitement intensif par statine, une diminution de 15% de l’incidence des accidents cardiovasculaires lorsque de l’alirocumab est associé au traitement par statine.
Le bénéfice est toutefois faible en chiffres absolus et de pertinence clinique incertaine. Contrairement à l’étude FOURIER, cette étude observe un effet positif sur la mortalité globale, mais pas sur la mortalité cardiovasculaire. Il ressort d’analyses en sous-groupes postérieures que l’effet n’est significatif que chez les patients dont le taux de LDL-cholestérol est élevé (>100 mg/dL). Des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer à quels groupes de patients ce traitement coûteux profiterait le plus. Le rapport coût-efficacité d’un traitement par inhibiteurs de PCSK9 dépasse largement ce qui est généralement admis comme étant un "bon rapport coût-efficacité" (50.000$ par QALY gagné).
La durée d’évaluation de l’étude, de 2,8 ans en moyenne, est trop courte pour pouvoir évaluer le bénéfice et l’innocuité à long terme d’un traitement destiné à être poursuivi pendant de nombreuses années.

Récemment, les résultats de l’étude ODYSSEY OUTCOMES1, la deuxième étude de grande échelle avec un inhibiteur de la PCSK9 hypolipidémiant ayant évalué des critères d’évaluation cardiovasculaires, ont été publiés. Cette étude a évalué l’effet de l’ajout d’alirocumab (Praluent®) à un traitement par statine par rapport à l’ajout d’un placebo chez des patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu dans l’année précédente et ayant obtenu une réduction insuffisante des concentrations de LDL par un traitement intensif par statine. Les résultats sont du même ordre de grandeur que ceux de l’étude FOURIER2 sur l’évolocumab (Repatha®) [voir les Folia de juillet 2017]: une diminution de 15% de l’incidence d’accidents cardiovasculaires sur une période d’en moyenne 2,8 ans, lorsque le traitement est complété par de l’alirocumab. Bien qu'on n'ait pas observé de réduction significative de la mortalité coronaire et cardiovasculaire, une réduction significative de la mortalité générale a été constatée. 
Dans la publication et même dans l’abstract, les auteurs signalent des analyses non pré-spécifiées portant sur des sous-groupes, dont il ressort que l’effet positif de l’alirocumab était plus prononcé chez les patients dont la LDL-cholestérolémie dépassait 100 mg/dL à l’inclusion. Il est à noter que dans ces mêmes analyses de sous-groupes, ce que les auteurs ne mentionnent nulle part dans la publication, les différences entre l’alirocumab et le placebo n’étaient pas statistiquement significatives chez les patients dont la LDL-cholestérolémie était inférieure à 80 mg/dL ou se situait entre 80 et 100 mg/dL, que ce soit sur le critère d’évaluation primaire ou sur les critères d’évaluation secondaires. Des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer à quels groupes de patients ce traitement par inhibiteurs de la PCSK9 profiterait le plus3.
Les effets indésirables apparaissaient avec la même fréquence dans les deux groupes, à l’exception des réactions au site d’injection, qui étaient plus fréquentes avec l’alirocumab qu’avec le placebo.

L’étude ODYSSEY OUTCOMES incluait 18.924 patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu dans les 1 à 12 mois avant leur inclusion (83% d’IAM, 17% d’angor instable) et gardant une cholestérolémie trop élevée (LDL ≥ 70 mg/dL ou non-HDL ≥ 100 mg/dL ou apoB ≥ 80 mg/dL) après au moins 2 semaines de traitement intensif et stable par statine (atorvastatine 40-80mg ou rosuvastatine 20-40 mg) ou par statine à la dose maximale tolérée. 89% des patients inclus recevaient un traitement intensif par statine, et seuls 3% des patients prenaient également de l’ézétimibe. L’âge moyen des participants était de 58,5 ans, dont 75% étaient des hommes et 80% de type caucasien. L’alirocumab a été administré à raison de 75 mg/2 semaines; des ajustements posologiques ont été faits en fonction des valeurs de LDL-cholestérolémie (cible: 25-50mg/dL), sans lever l’aveugle; en cas de valeurs répétées de LDL-C < 15 mg/dL, l’alirocumab a été remplacé par un placebo, toujours sans lever l’aveugle ni l’allocation (chez 7,7% des patients du groupe traité par alirocumab).
Le critère d’évaluation primaire était composé de mortalité coronaire, d’infarctus du myocarde non fatal, d’AVC ischémique fatal et non fatal et d’hospitalisation pour angor instable. L’alirocumab diminuait de manière statistiquement significative l’incidence de ce critère d’évaluation primaire: 9,5% (alirocumab) contre 11,1% (placebo); risque relatif de 0,85 [IC à 95% 0,78-0,93]. Ceci correspond à un NNT de 63 sur 2,8 années; en s’appuyant sur les courbes de Kaplan-Meier, les auteurs calculent un NNT de 49 sur 4 ans.
Dans l’analyse des critères d’évaluation secondaires, l’alirocumab est associé à un effet positif sur l’incidence des cas d’infarctus du myocarde, d’AVC, d’angor instable et de revascularisation coronaire, mais pas sur la mortalité coronaire ou cardiovasculaire totale. En revanche, sur la mortalité globale, un effet positif est observé avec l’alirocumab, en comparaison avec le placebo: 3,5% (alirocumab) contre 4,1% (placebo); risque relatif de 0,85 [IC à 95% 0,73-0,98]. Les auteurs ne cherchent pas à expliquer ce phénomène.
En termes d’effets indésirables, seules les réactions au site d’injection étaient plus fréquentes avec l’alirocumab qu’avec le placebo: 3,8% contre 2,1%. Aucune différence n’a été observée en ce qui concerne l’incidence des réactions allergiques, des cas de cataracte, de diabète, de troubles hépatiques ou de troubles neurocognitifs. Chez 0,7% des patients, des anticorps se sont développés; chez 0,5% des patients, ces anticorps étaient neutralisants (à titre comparatif: avec l’évolocumab dans l’étude FOURIER, des anticorps se sont développés chez 0,3% des patients, mais il ne s’agissait pas d’anticorps neutralisants).

Commentaire du CBIP

Comme dans l’étude FOURIER, le bénéfice cardiovasculaire de l’alirocumab est statistiquement significatif, mais il est limité en chiffres absolus; l’effet sur la mortalité (cardiovasculaire) reste incertain. La durée d’évaluation de l’étude est trop courte pour pouvoir évaluer le bénéfice et l’innocuité à long terme d’un traitement destiné à être poursuivi pendant de nombreuses années.
Le coût élevé des inhibiteurs de la PCSK9 (5.000-5.700€ pour 1 année de traitement) reste un obstacle majeur.

Selon des analyses coût-efficacité américaines, un traitement par inhibiteurs de PCSK9 coûterait environ 150.000-450.000$ par QALY gagné, ce qui dépasse largement la valeur seuil du "bon rapport coût-efficacité" (50.000$ par QALY gagné)4-6. En Amérique, les producteurs des deux inhibiteurs de PCSK9 ont récemment baissé leur prix de 60%3, mais même alors, la limite de 50.000$/QALY n’est pas atteinte. Des économistes de la santé européens préconisent une stratégie de "risque le plus élevé – bénéfice le plus élevé" réservant ces médicaments coûteux aux patients présentant le risque cardiovasculaire le plus élevé qui peuvent en bénéficier le plus6.
Les prix actuels en Belgique sont comparables aux prix américains après la baisse des prix. En Belgique, un remboursement pour les inhibiteurs de la PCSK9 n’est prévu que pour les patients présentant une hypercholestérolémie familiale.

Chez les patients à très haut risque cardiovasculaire et gardant une LDL-cholestérolémie trop élevée sous traitement intensif par statine, la directive actuelle américaine4 privilégie en premier lieu l’ajout d’ézétimibe, et n’envisagent les inhibiteurs de PCSK9 qu’en deuxième option. La directive européenne7 considère également que cette stratégie privilégiant en premier lieu l’ézétimibe est une bonne option, mais affirme que chez les patients dont le taux de cholestérol LDL est élevé, et qui doivent donc obtenir une forte réduction du taux de cholestérol LDL ( > 50%), les inhibiteurs de la PCSK9 peuvent être ajoutés à un traitement par statine sans utilisation préalable d’ézétimibe. Ces stratégies ne sont toutefois pas étayées par des données provenant d’études randomisées ou comparatives.

La récente directive américaine sur les lipides4 privilégie l’ajout d’ézétimibe à l’ajout d’inhibiteurs de la PCSK9, lorsqu’en prévention cardiovasculaire secondaire chez des patients à très haut risque cardiovasculaire, la baisse de la LDL-cholestérolémie est insuffisante (LDL-c ≥ 70 mg/dL) avec un traitement par statine à intensité maximale ou à la dose maximale tolérée, en s’appuyant pour cela sur les arguments suivants : le prix élevé des inhibiteurs de la PCSK9, la disponibilité de génériques de l’ézétimibe, la facilité d’utilisation (l’ézétimibe étant administré oralement, par rapport aux inhibiteurs de la PCSK9 qui sont à injecter par voie sous-cutanée) et les incertitudes quant au profil d’innocuité à long terme des inhibiteurs de la PCSK9. Lorsque même l’association “statine-ézétimibe” ne permet pas d’abaisser suffisamment la LDL-cholestérolémie, l’ajout d’un inhibiteur de la PCSK9 est recommandé. En l’absence de maladies cardiovasculaires athéroscléreuses (prévention primaire), l’utilisation d’inhibiteurs de la PCSK9 n’est pas recommandée, sauf chez les personnes présentant une hypercholestérolémie primaire sévère.
Cette stratégie privilégiant en premier lieu l’ézétimibe est, selon le consensus européen sur la place des inhibiteurs de la PCSK97 également un choix logique qui peut cependant dévier d’un patient à l’autre, en fonction d’une évaluation clinique d’un risque cardio-vasculaire très élevé, ou sur la base de conventions régionales. L’utilisation d’un inhibiteur de la PCSK9 est réservée ici aux patients présentant un risque cardio-vasculaire très élevé (c’est-à-dire les patients atteints de maladies cardiovasculaires athéroscléreuses constatées ou les patients atteints de diabète en présence de lésions organiques ou d’un facteur de risque cardiovasculaire majeur) chez lesquels le taux de cholestérol LDL, malgré un traitement intensif par statine ou un traitement par statine à la dose maximale tolérée, que ce soit ou non en association avec l’ézétimibe, reste supérieur à 140 mg/dl (ou 100 mg/dl, en présence d’indications supplémentaires d’un risque cardiovasculaire très élevé comme la progression rapide du risque cardiovasculaire, le diabète sucré ou une maladie plurivasculaire). Ceci est motivé par le fait que ces patients doivent souvent obtenir une réduction du cholestérol LDL de plus de 50%, ce qu’on estime impossible avec l’ajout d’ézétimibe (réduction moyenne du cholestérol LDL de 19-23%).
La stratégie privilégiant en premier lieu l’ézétimibe n’est pas étayée par des données provenant d’études randomisées ou comparatives. Dans les études FOURIER et ODYSSEY OUTCOMES, seuls 3 à 5% des patients prenaient de l’ézétimibe. On ne dispose d’aucune étude randomisée ayant comparé directement l’ajout d’ézétimibe et l’ajout d’un inhibiteur de la PCSK9 à un traitement par statine manquant d’efficacité.

Sources spécifiques

1 Schwartz GG, Steg PG, Szarek M, Bhatt DL, Bittner VA et al. Alirocumab and cardiovascular outcomes after acute coronary syndrome. N Engl J Med 2018; 379: 2097-107. doi: 10.1059/NEJMoa1801174.
Sabatine MS, Giugliano RP, Keech AC, Honarpour N, Wiviott SD et al. Evolocumab and clinical outcomes in patients with cardiovascular disease. N Engl J Med 2017; 376: 1713-22. doi: 10.1056/NEJMoa165664.
Burnett JR, Hooper AJ. PCSK9 – A journey to cardiovascular outcomes. N Engl J Med 2018; 379: 2161-2. doi: 10.1056/NEJMe1813758.
2018 AHA/ACC/AACVPR/AAPA/ABC/ACPM/ADA/AGS/APhA/ASPC/NLA/PCNA Guideline on the Management of Blood Cholesterol. J Am Coll Cardiol (early online op 10 november 2018). doi: 10.1016/jacc.2018.11.003.

5 Zur Kosten-Effektivität der Cholesterinsenkung mit PCSK9-Hemmern. Arzneimittelbrief 2018, 52, 08.
Annemans L, Packard CJ, Briggs A, Ray KK. ‘Highest risk-highest benefit’ strategy: a pragmatic, cost-effective approach to targeting use of PCSK9 inhibitor therapies. Eur Heart J 2018; 39: 2546-50. doi: 10.1093/eurheartj/ehx710.
2017 Update of European Society of Cardiology/European Atherosclerosis Society Task Force on practical clinical guidance for proprotein convertase subtilisin/kexin type 9 inhibition in patients with atherosclerotic cardiovascular disease or in familial hypercholesterolaemia. Eur Heart J 2018; 39: 1131-43. doi: 10.1093/eurheartj/ehx549.