Directive révisée de l’European Society of Cardiology / European Society of Hypertension (ESC/ESH) concernant l’hypertension

La directive révisée concernant le traitement de l’hypertension, de l’European Society of Cardiology (ESC) et l’European Society of Hypertension (ESH), a été publiée en août 2018. Contrairement à la directive américaine, la directive européenne maintient la définition et la classification de l’hypertension en degrés de sévérité. Ce qui a essentiellement changé par rapport à la version précédente, c’est que la directive recommande désormais, lorsqu’un traitement médicamenteux est indiqué, d’initier un traitement combiné, au lieu d’une monothérapie, chez la plupart des patients. La directive opte dans ces cas-là pour une association fixe d’un inhibiteur du système rénine-angiotensine (IECA ou sartan) + un diurétique ou antagoniste du calcium.
Le CBIP estime que, dans cette directive européenne révisée concernant l’hypertension, tout comme dans la directive américaine, certains éléments ne sont pas suffisamment étayés par des données probantes, et qu’en appliquant la directive, il convient de rester attentif au patient individuel. En particulier chez les patients en première ligne présentant une hypertension légère, une monothérapie est souvent suffisante. La méthode des "soins par étapes", consistant à débuter par une monothérapie et à y rajouter un deuxième antihypertenseur lorsque les valeurs cibles ne peuvent pas être atteintes ou qu’une baisse tensionnelle plus importante est requise, semble rester une démarche logique. L’initiation d’une association fixe présente en soi également quelques inconvénients. Par ailleurs, il n’existe pas d’études randomisées ayant comparé une thérapie combinée initiale avec une stratégie de "soins par étapes".

Principales modifications de la directive révisée de l’ESC/ESH concernant l’hypertension

Définition et classification de l’hypertension

La directive européenne1 maintient, contrairement à la directive américaine2 (voir Folia de mars 2018), la définition (tension ≥ 140/90 mmHg) et la classification de l’hypertension.

Le tableau ci-dessous donne un aperçu des définitions utilisées dans la directive de l’ESC/ESH sur l’hypertension. D’après la directive révisée, le diagnostic de l’hypertension repose sur des mesures répétées de la tension au cabinet médical, ou en dehors du cabinet (automesure tensionnelle à domicile ou mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) sur 24 heures). Ces dernières mesures n’étaient pas encore recommandées dans la version précédente de la directive.
Catégorie Valeur systolique   Valeur diastolique
Tension optimale < 120 mmHg et < 80mmHg
Tension normale 120-129 mmHg et/ou 80-84 mmHg
Tension normale haute 130-139 mmHg et/ou 84-89 mmHg
Hypertension de grade 1 140-159 mmHg et/ou 90-99 mmHg
Hypertension de grade 2 160-179 mmHg et/ou 100-109 mmHg
Hypertension de grade 3 ≥ 180 mmHg et/ou ≥ 110 mmHg
Hypertension systolique isolée ≥140 mmHg et < 90 mmHg

Initier plus rapidement un traitement

  • Chez les personnes présentant une hypertension de grade 1 (TAS de 140-159 mmHg et/ou TAD de 90-99 mmHg), la nouvelle directive recommande un traitement médicamenteux même en l’absence d’un risque cardiovasculaire accru, en cas de contrôle inadéquat de la pression artérielle après une période suffisamment longue (3-6 mois) durant laquelle des mesures non médicamenteuses sont appliquées. Dans la version précédente de la directive, on ne recommandait pas encore explicitement le traitement médicamenteux chez ces patients, mais on estimait déjà qu’il pouvait être envisagé. Cette recommandation vaut également pour les personnes âgées (65-80 ans) en bonne santé, à condition que le traitement soit bien toléré. Chez les personnes âgées de plus de 80 ans, un traitement n’est recommandé qu’en cas de valeurs tensionnelles systoliques supérieures à 160 mmHg.
  • D’après la nouvelle directive, l’initiation d’un traitement médicamenteux peut également être envisagée chez les patients ayant une tension normale haute (TAS 130-139 mmHg et/ou TAD 84-89 mmHg) en présence d’un très haut risque cardiovasculaire (maladie cardiovasculaire existante, en particulier coronaropathie). Dans sa version précédente, la directive ne recommandait pas encore de traitement médicamenteux chez ces patients.

  • En ce qui concerne les patients présentant une hypertension de grade 2 et de grade 3 ou les patients présentant une hypertension de grade 1  et un haut risque cardiovasculaire, rien ne change dans cette nouvelle version de la directive : ce groupe de patients doit recevoir un traitement médicamenteux immédiat, à côté des mesures non médicamenteuses.

En premier lieu, viser une valeur tensionnelle <140/90 mmHg chez tous; continuer à la diminuer si possible chez la plupart des patients

Dans cette nouvelle directive, le premier objectif du traitement reste une valeur tensionnelle < 140/90 mmHg. Ce qui change, c’est que la directive recommande désormais de viser chez la plupart des patients, si le traitement est bien toléré, une tension systolique de 130-139 mmHg, même chez les personnes âgées (+ 65 et même + 80). Chez les personnes âgées de moins de 65 ans, la cible tensionnelle systolique est même de 120-129 mmHg (à l’exception des patients atteints d’insuffisance rénale chronique, pour lesquels la valeur cible reste 130-139 mmHg).  Pour la pression artérielle diastolique on préconise une valeur cible de 70-79 mmHg).

Préparations combinées comme traitement médicamenteux initial

Dans la version précédente de la directive de l’ESC, une stratégie de “soins par étapes” était proposée en cas d’hypertension: la première étape consistant en une monothérapie à faible dose, à laquelle est associé un deuxième antihypertenseur à faible dose en cas d’effet insuffisant. La nouvelle version de la directive recommande désormais, comme traitement initial, une thérapie combinée chez la plupart des patients. Ce traitement combiné consiste de préférence, selon la directive, en l’association fixe d’un inhibiteur du SRA (IECA ou sartan) + un diurétique ou un antagoniste du calcium. Une exception est faite pour (1) les personnes présentant une hypertension de grade 1 et un faible risque cardiovasculaire et dont la tension systolique est inférieure à 150 mmHg, (2) les personnes âgées vulnérables, et (3) les personnes à tension normale haute et à très haut risque cardiovasculaire: chez ces personnes, une monothérapie reste recommandée, sans nette préférence pour une classe particulière de médicaments.
Pour argumenter ce changement important, les auteurs de la directive de l’ESC/ESH s’appuient surtout sur le constat que, chez un grand nombre de patients, la stratégie thérapeutique actuelle de l’hypertension ne permet pas un contrôle tensionnel suffisant. Les auteurs arguent également que la thérapie combinée initiale s’est avérée sûre et bien tolérée dans plusieurs études. Lorsque le traitement combiné ne s’avère pas suffisamment efficace, il est recommandé de passer à une trithérapie (inhibiteur du SRA + antagoniste du calcium + diurétique) sous forme d’une association fixe.

Quelques commentaires sur la directive révisée de l’ESC concernant l’hypertension

Le CBIP estime que, dans cette nouvelle directive européenne sur l’hypertension, tout comme dans la dernière directive américaine sur l’hypertension (voir les Folia de mars 2018), certains éléments ne sont pas suffisamment étayés par des données probantes, et qu’en appliquant la directive, il convient de rester attentif au patient individuel.

  • L’ajustement des valeurs seuils pour le traitement médicamenteux chez certains groupes de patients, repose sur des données provenant de méta-analyses, dont la méthodologie et les critères de sélection des études incluses manquent parfois de clarté et sont contestables, ou sur des données provenant d’analyses en sous-groupes qui ne sont pas toujours préspécifiées. Souvent, ces groupes de patients ne correspondent que partiellement aux groupes de patients pour lesquels les recommandations ont été formulées.

  • La recommandation d’envisager également un traitement médicamenteux chez les patients présentant une tension normale haute et un très haut risque cardiovasculaire, s’appuie sur une méta-analyse dans laquelle la très grande majorité des patients souffraient d’une coronaropathie, et étaient donc déjà traités par bêta-bloquants et/ou antagonistes du calcium avant leur inclusion dans ces études. Il n’est pas correct de considérer ces patients comme étant représentatifs de l’ensemble du groupe de patients à tension normale haute et un très haute risque cardiovasculaire (sans coronaropathie et/ou traitement aux antihypertenseurs)3.

  • La discussion au sujet des valeurs cibles du traitement semble fortement influencée par les résultats de la grande étude SPRINT (voir les Folia de février 2016). Cette étude incluait une population très sélectionnée, dont une part importante était déjà traitée pour hypertension avant l’étude. Un contrôle tensionnel intensif a été associé à un bénéfice en termes de morbidité et de mortalité cardiovasculaires, par rapport à un contrôle moins strict, mais ce au détriment d’un risque significativement accru d’effets indésirables. Cette étude a en outre utilisé une méthode de mesure tensionnelle difficile à reproduire dans la pratique, ce qui entrave l’interprétation des valeurs tensionnelles dans cette étude. Bien que les auteurs de l’ESC soient conscients de ces limites, ils ont pourtant déterminé les nouvelles valeurs cibles du traitement à partir de deux méta-analyses qui incluent toutes deux l’étude SPRINT et parviennent à la conclusion qu’un contrôle tensionnel plus strict est associé à une diminution significative des principaux critères d’évaluation cardiovasculaires (morbidité et mortalité). On peut se demander si les résultats de ces méta-analyses tiendraient toujours sans les résultats de l’étude SPRINT; par ailleurs, l’une de ces méta-analyses incluait également des études ayant évalué des antihypertenseurs dans d’autres indications que l’hypertension3.

  • Les remarques précédentes valent également pour les recommandations concernant le traitement des personnes âgées. La décision d’ajuster les valeurs seuils nécessitant un traitement chez les personnes âgées repose seulement sur le fait qu’un grand nombre d’études menées auprès de patients hypertendus de grade 1 incluaient des personnes âgées, et pas sur des études ou des analyses en sous-groupes spécifiquement menées auprès de ce groupe cible. L’ajustement des valeurs cibles du traitement chez les personnes âgées repose essentiellement sur une analyse en sous-groupes préspécifiée de personnes âgées (+75) faisant partie de l’étude SPRINT, qui confirme les résultats de l’étude dans ce sous-groupe également.

  • L’observance thérapeutique et le suivi du traitement antihypertenseur instauré pourraient sans doute être améliorés, mais cela ne signifie pas pour autant que la stratégie thérapeutique actuelle doive être abandonnée, rien ne le prouve en tout cas. Par ailleurs, on admet, sans preuves à l’appui, que la monothérapie ne suffit pas, chez la plupart des patients, pour atteindre les cibles tensionnelles (révisées). Pourtant, dans des versions antérieures de la directive (jusqu’en 2007)4, il a été affirmé que la monothérapie permettait à environ 30-50% des patients d’atteindre les cibles tensionnelles (d’alors) de 140/90 mmHg5. L’arsenal thérapeutique ayant peu changé ces 10 dernières années, on peut en déduire que ceci vaut toujours pour une part importante des patients hypertendus. La méthode des "soins par étapes", consistant à débuter par une monothérapie et à y rajouter un deuxième antihypertenseur lorsque les valeurs cibles ne peuvent pas être atteintes ou qu’une baisse tensionnelle plus importante est requise, semble rester une démarche logique. Des efforts supplémentaires pour améliorer l’observance thérapeutique et un bon suivi du traitement peuvent augmenter la probabilité de succès de cette stratégie thérapeutique, sans pour autant devoir exposer un grand groupe de patients aux effets indésirables supplémentaires liés à la thérapie combinée, qui sont tout de même minimisés dans cette directive.

  • Les auteurs de la directive avouent qu’il n’existe aucune étude randomisée, portant sur des critères d’évaluation forts, ayant comparé une thérapie combinée initiale avec une monothérapie. Ils estiment toutefois qu’il existe suffisamment de données provenant de grandes études observationnelles et d’études à critères d’évaluation intermédiaires (chute de la pression artérielle) pour recommander aujourd’hui cette stratégie. Le CBIP est d’avis que, en l’absence de données provenant d’études randomisées, les preuves avancées ne sont pas suffisantes pour privilégier la thérapie combinée initiale chez la majorité des patients.

  • De même, le choix explicite de l’association d’un inhibiteur du SRA avec un antagoniste du calcium ou un diurétique n’est pas suffisamment étayé par des données probantes. Comme le montre la bibliographie de la directive, d’autres associations se sont également avérées efficaces dans des études contrôlées par placebo, et les résultats des études comparatives directes dont on dispose actuellement ne permettent pas d’avancer une association en particulier comme premier choix.

  • Les associations fixes augmentent sans doute le taux d’observance thérapeutique et ont leur place dans le traitement de l’hypertension chez les patients recevant plusieurs antihypertenseurs à dose stable. Le CBIP est d’avis que les associations fixes sont moins propices pour l’initiation d’un traitement, car si la thérapie initiale par association fixe est mal tolérée, il est souvent difficile d’identifier le composant responsable et de déterminer quel médicament peut alors être administré comme alternative. De plus, l’utilisation d’une association fixe ne permet pas aussi facilement d’ajuster (temporairement) la dose des composants individuels.

Il semblerait que les auteurs ne tiennent pas suffisamment compte des différences entre les populations en première et deuxième ou troisième ligne. Chez la plupart des patients en deuxième ou troisième ligne, la monothérapie se révèlera en effet insuffisante pour parvenir au contrôle de la pression artérielle, mais en première ligne (davantage d’hypertension non compliquée, valeurs tensionnelles initiales plus basses), la monothérapie conviendra encore à une grande partie des patients. La monothérapie, voire même de simples mesures non médicamenteuses, permettent d’obtenir un bon contrôle tensionnel chez de nombreux patients en première ligne, qui sont rarement renvoyés vers la deuxième ou troisième ligne.

Sources spécifiques

1 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension. Via: https://www.escardio.org/Guidelines/Clinical-Practice-Guidelines/Arterial-Hypertension-Management-of. (doi: 10.1093/eurheartj/ehy339)
2017 ACC/AHA/AAPA/ABC/ACPM/AGS/APhA/ASH/ASPC/NMA/PCNA Guideline for the Prevention, Detection, Evaluation, and Management of High Blood Pressure in Adults. Via https://www.ahajournals.org/lookup/doi/10.1161/HYP.0000000000000065
Neue Europäische Hypertonie-Leitlinie: Klassifikation, Behandlungsbeginn, Zielwerte. Arznei-telegramm 2018; 49: 82-3.
2007 Guidelines for the management of arterial hypertension. J Hypertens 2007; 25: 1105-1187. doi: 10.1097/HJH.0b013e3281fc975a

5 Materson BJ, Reda DJ, Cushman WC et al. Single drug therapy for hypertension in men. N Engl J Med 1993; 328:914-21. doi: 10.1056/NEJM199304013281303