Sécurité du paracétamol en fin de grossesse ?

Des cas de fermeture prématurée du canal artériel ont été rapportés chez des nouveau-nés dont la maman avait été exposée au paracétamol en fin de grossesse. Un lecteur nous a contacté afin de savoir s’il n’était pas souhaitable de modifier, dans le Répertoire, la rubrique Grossesse et allaitement pour le paracétamol. Le risque est limité mais une attitude prudente est de mise.
Lorsque le paracétamol est utilisé au cours du 3ème trimestre de la grossesse, la balance bénéfice/risque doit être évaluée.

  • En cas de douleurs en fin de grossesse, la prise de paracétamol pourrait être limitée à un maximum de 500 mg 3x/jour par précaution.

  • En cas de fièvre au cours du 3ème trimestre (risque de déclenchement des contractions et d'accouchement prématuré), les bénéfices du paracétamol l'emportent généralement sur les risques.

Dans tous les cas, le paracétamol doit être utilisé pendant une période aussi courte que possible.

Contexte

En ce qui concerne le paracétamol, sous la rubrique Grossesse et allaitement du Répertoire, nous mentionnions que « Le paracétamol paraît sans danger pendant la grossesse et la période d’allaitement ». En 2019, La Revue Prescrire1 mentionnait cependant de rester prudent lors de l’administration du paracétamol durant le 3ème trimestre de la grossesse, des cas de fermeture prématurée du canal artériel ayant été rapportés. Suite à cet article, le lecteur se demande s’il ne faudrait pas conseiller de diminuer la prise à 500 mg 3x/jour, soit 1,5 g/jour maximum, par mesure de précaution.

Données de littérature

  • La Revue Prescrire discute d’un article qui fait mention de 25 rapports de cas de fœtus ou de nouveau-nés présentant une fermeture prématurée du canal artériel.1,2Le seul médicament pris par les mamans était le paracétamol, ce qui suggère que la fermeture du canal artériel pourrait être imputable à cette molécule.

  • Le paracétamol exercerait un faible effet inhibiteur sur la synthèse des prostaglandines qui sont impliquées dans la perméabilité du canal artériel. Il est mentionné dans la littérature1 que le paracétamol peut être utilisé, comme les AINS, chez les nouveau-nés prématurés pour accélérer la fermeture du canal artériel. Cet effet pourrait expliquer les cas observés de fermeture prématurée du canal artériel.

  • Dans 19 des 25 cas, la durée de prise du paracétamol était comprise entre 4 jours et 1 semaine. En revanche, la dose prise par les mamans n’était pas toujours claire. Prescrire cite que « dans la plupart des cas », la dose, lorsqu’elle était connue, était d’au moins 1 500 mg par jour et dans 2 cas, inférieure aux 1 500 mg.

  • La Revue Prescrire se base sur cette constatation afin de conclure que le paracétamol reste l’antalgique de premier choix pendant la grossesse (en cas d’échec des mesures non médicamenteuses) mais qu’il faut rester prudent quant au potentiel risque de fermeture prématurée du canal artériel lié à la prise de paracétamol en fin de grossesse (surtout à des doses ≥ 1 500 mg par jour pendant plusieurs jours). La dose seuil choisie de 1 500 mg par jour repose sur des données limitées.

Ce que disent nos sources

  • Selon Le Crat3 et le Briggs4, le paracétamol peut être utilisé quel que soit le terme de la grossesse, sur la période la plus courte possible. Ils ne font pas état de risques de fermeture prématurée du canal artériel.

  • Selon Lareb5, la relation entre le paracétamol et le risque de fermeture du canal artériel est incertaine. Lareb fait mention d’une étude portant sur 604 grossesses exposées au paracétamol: aucun cas de fermeture prématurée du canal artériel n’a été relevé.6 Selon eux, si ce risque existe, il est très faible, le paracétamol étant un médicament couramment utilisé pendant la grossesse. Lareb conclut que le paracétamol reste le premier choix en cas de douleurs et de fièvre dans le cadre de la grossesse et préconise de ne l’utiliser que sur la période la plus courte possible et à la dose la plus faible possible.

Conclusions du CBIP

  • Le nombre de cas rapportés de fermeture prématurée du canal artériel en lien avec la prise de paracétamol en fin de grossesse est faible compte tenu de l’utilisation massive du paracétamol comme antalgique et antipyrétique pendant la grossesse. Même si le risque semble faible, il n’est pas à négliger : les conséquences sur le fœtus ou le nouveau-né étant graves.

  • La Revue Prescrire mentionne le dosage de ≥ 1 500 mg par jour comme étant à risque mais dans plusieurs cas rapportés, la dose maximale prise de paracétamol était inconnue (voir plus haut). Des données supplémentaires sont nécessaires afin de pouvoir déterminer une dose seuil à partir de laquelle il y a un risque.

  • Le paracétamol reste l’antalgique à privilégier durant la grossesse, sa sécurité étant mieux établie que celle des autres anti-douleurs. En effet, la prise d’AINS est déconseillée à partir du 2ème trimestre de la grossesse et est contre-indiquée durant le 3ème trimestre. Le métamizole est également contre-indiqué lors du 3ème trimestre. Les opioïdes sont, quant à eux, déconseillés durant toute la grossesse, et ils peuvent engendrer une dépression respiratoire en cas d’utilisation pendant l’accouchement.

  • Nous pouvons cependant nuancer nos propos dans le Répertoire. En cas de douleurs chez la femme enceinte, il convient de limiter la prise de paracétamol à la dose la plus faible possible et sur la période la plus courte possible afin de limiter les potentiels risques. Il pourrait être conseillé aux femmes enceintes de limiter l’utilisation de paracétamol à 500 mg 3x/jour maximum lors du dernier trimestre de la grossesse, par précaution.

  • En ce qui concerne le traitement de la fièvre chez la femme enceinte, il est nécessaire de mettre en balance les bénéfices face aux risques. En effet, nous savons que la fièvre chez une femme enceinte peut augmenter les risques de contractions et d’accouchements prématurés. Or, à 1,5 g/jour, la fièvre risque d’être sous-traitée et de provoquer une naissance prématurée. Selon le Briggs, l’usage de paracétamol dans le cadre d’une action antipyrétique est en général plus bénéfique que les risques liés à sa prise.4

  • A ce titre, nous avons décidé de nuancer la rubrique Grossesse et allaitement en lien avec le paracétamol comme suit :
    « Selon nos sources, le paracétamol peut être utilisé pendant la grossesse et la période d’allaitement. Cependant, des cas rares de fermeture prématurée du canal artériel ont été rapportés lors de l’utilisation du paracétamol pendant le 3ème trimestre de la grossesse surtout à des doses d’au moins 1,5 g/jour. Il convient de mesurer la balance bénéfice/risque lors d’une utilisation de paracétamol durant le 3ème trimestre de la grossesse. En cas de douleurs en fin de grossesse, la prise de paracétamol pourrait être limitée par prudence à 500 mg 3x/jour maximum. En revanche, en cas de fièvre lors du 3ème trimestre, les bénéfices du paracétamol sont en général supérieurs aux risques (induction de contractions et naissance prématurée). L’utilisation de doses > à 1 500 mg/jour est justifiée dans ce cas-ci. Dans tous les cas, son usage doit se faire sur la période la plus courte possible.».


Noms des spécialités concernées :

  • Paracétamol : Algostase Mono®, Croix Blanche Mono®, Dafalgan®, Lemsip®, Panadol®, Paracetamol(e), Perdolan® (voir Répertoire)

  • Paracétamol + caféine (voir Répertoire)

  • Paracétamol + acide acétylsalicylique + caféine (voir Répertoire)

  • Paracétamol + acide acétylsalicylique + acide ascorbique (voir Répertoire)

  • Paracétamol + AINS (voir Répertoire)

  • Paracétamol + codéine (voir Répertoire)

  • Paracétamol + codéine + caféine (voir Répertoire)

  • Paracétamol + tramadol (voir Répertoire)

  • Paracétamol + chlorphénamine (voir Répertoire)

  • Paracétamol + pseudoéphédrine (voir Répertoire)


Sources

Prescrire Rédaction. « Paracétamol en fin de grossesse : un facteur de fermeture prématurée du canal artériel ». La Revue Prescrire, octobre 2019, tome 39, N°432.
Allegaert K, Mian P, Lapillonne A, van den Anker JN. Maternal paracetamol intake and fetal ductus arteriosus constriction or closure: a case series analysis. Br J Clin Pharmacol. 2019 Jan;85(1):245-251. doi: 10.1111/bcp.13778. Epub 2018 Oct 25. PMID: 30300944; PMCID: PMC6303200.
3 Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (Le Crat). Paracétamol-Grossesse. Consulté le 8 mars 2024. https://www.lecrat.fr/4165/
4 Briggs, Gerald, G. et al. Briggs Drugs in Pregnancy and Lactation. Available from: VitalSource Bookshelf, (12th Edition). Wolters Kluwer Health, 2021.
5 Lareb. Paracetamol tijdens de zwangerschap. Consulté le 8 mars 2024. https://www.lareb.nl/mvm-kennis-pagina/Paracetamol-tijdens-de-zwangerschap

6 Dathe K, Frank J, Padberg S, Hultzsch S, Meixner K, Beck E, Meister R, Schaefer C. Negligible risk of prenatal ductus arteriosus closure or fetal renal impairment after third-trimester paracetamol use: evaluation of the German Embryotox cohort. BJOG. 2019 Dec;126(13):1560-1567. doi: 10.1111/1471-0528.15872. Epub 2019 Aug 7. PMID: 31310697.