Les statines dans la prévention cardiovasculaire primaire: consommées inutilement par de nombreux patients

La place des statines dans la prévention cardiovasculaire primaire reste un sujet de discussion.  Un rapport récent du KCE indique que les statines ont un rapport bénéfice/risque favorable et un bon rapport coût-efficacité dans la prévention primaire des troubles cardiovasculaires seulement chez les patients qui présentent un risque cardiovasculaire élevé. Néanmoins, l’analyse montre qu’une grande majorité des 1,5 million d’utilisateurs de statines en Belgique prennent une statine pour la prévention cardiovasculaire primaire.  En outre, l’observance thérapeutique de nombreux utilisateurs de statines laisse à désirer.

Le CBIP s’associe aux conclusions du KCE selon lesquelles les mesures non médicamenteuses sont primordiales dans la prévention cardiovasculaire primaire et que la décision d’initier un traitement par statines devrait être prise plus délibérément et conjointement par un patient bien informé et le médecin traitant sur la base d’une bonne évaluation du risque cardiovasculaire.  Sans aucun doute, le nombre d’utilisateurs de statines en prévention primaire peut être considérablement réduit sans perte de santé.  Chez les patients présentant un risque cardiovasculaire élevé, qui bénéficient le plus d’un traitement par statines, les efforts visant à améliorer l’observance thérapeutique doivent être intensifiés.

La place des statines dans la prévention primaire des maladies cardiovasculaires reste un sujet de discussion.  Les recommandations les plus récentes pour la population belge (Réunion de Consensus INAMI, 2014)1 ne conseillent les statines en prévention primaire que chez les patients présentant un risque cardiovasculaire accru et ce, après une décision conjointe du patient informé et du médecin traitant, basée sur un examen approfondi des avantages et inconvénients (shared decision making).  Il est souligné que des mesures non médicamenteuses sont primordiales et doivent également être poursuivies lorsqu’un traitement médicamenteux est instauré.
Le rapport du KCE sur le rôle des statines dans la prévention primaire des maladies cardiovasculaires2 , publié en janvier 2019, indique que depuis la Réunion de Consensus de 2014, pratiquement aucune nouvelle information pertinente sur l’efficacité des statines qui devrait en modifier les conclusions, n’a été publiée. Le rapport du KCE arrive donc à la même conclusion: les statines dans la prévention primaire n’ont un rapport bénéfice/risque favorable que chez les patients présentant un risque cardiovasculaire élevé et leur rapport cout/efficacité s’est également révélé favorable dans ce groupe.  Le rapport bénéfice/risque et, par conséquent, le rapport coût/efficacité des statines chez les patients présentant un risque cardiovasculaire faible à modéré demeurent incertains.  Il ressort également de l’analyse coût-efficacité que des mesures non médicamenteuses devraient être prises avant d’instaurer un traitement par statines. C’est pourquoi le KCE soutient la recommandation d’une prise de décision partagée (shared decision making) et travaille actuellement à l’élaboration d’un outil pour aider les médecins et les patients dans ce domaine, qui devrait être proposé dans le courant de l’année 2019. Cette recommandation en faveur d’une prise de décision partagée se retrouve également dans les directives internationales3-4 où, en plus de l’évaluation des risques, la valeur initiale du cholestérol LDL est souvent prise en compte dans le processus décisionnel.
 

"Prise de décision partagée", plus qu’une simple évaluation du risque cardiovasculaire

La mise en œuvre et le maintien de mesures non médicamenteuses devraient être la première étape du processus de prise de décision partagée.  Après avoir évalué le risque cardiovasculaire, un traitement par statines peut y être associé, immédiatement ou non. Le patient doit être parfaitement informé des avantages et inconvénients attendus d’un traitement par statines.
En Belgique, le risque cardiovasculaire est estimé à l’aide des tableaux européens SCORE (risque à 10 ans de maladies cardiovasculaires fatales, voir glossaire ci-dessous)1,5,6. Cependant, il n’existe pas de valeur seuil validée pour ce risque (les directives européennes utilisent le SCORE ≥ 5% comme risque élevé, Domus Medica et la SSMG ne parlent de risque élevé qu’à partir d’un SCORE ≥ 10%).
En 2018, un groupe de recherche suisse a publié une étude basée sur des données issues d’études observationnelles et randomisées et de modèles théoriques, qui tiennent davantage compte de l’incidence et de la gravité des effets indésirables que dans les directives7. Cette étude fournit des indices que les avantages d’un traitement par statines dans la prévention cardiovasculaire primaire ne peuvent l’emporter sur les inconvénients que si les valeurs de risque sont supérieures à celles proposées dans les présentes directives.  L’âge semble également jouer un rôle: chez les personnes plus jeunes, le rapport bénéfice/risque d’un traitement par statines est déjà favorable à des valeurs de risque plus faibles que chez les personnes âgées. Ces éléments devraient être pris en compte au moment de décider d’instaurer ou non un traitement par statines.
Bien que la plupart des directives internationales suggèrent un traitement médicamenteux chez les patients présentant des taux de cholestérol LDL de 190 mg/dl ou plus, et qu’une étude observationnelle récente8 a établi que des taux de cholestérol LDL de 160 mg/dl ou plus étaient associés à une augmentation significative de la mortalité cardiovasculaire, les preuves sont encore insuffisantes pour suggérer une valeur seuil de LDL pour le traitement.  Il en va de même pour les valeurs cibles de LDL des directives, qui sont fondées sur des considérations théoriques et un consensus et n’ont pas fait l’objet d’études cliniques.
 

Données frappantes de l’analyse de l’utilisation par le KCE

A la lumière des données ci-dessus, il est inquiétant de constater qu’une grande majorité des 1,5 million d’utilisateurs belges de statines semblent l’utiliser en prévention primaire.  En se basant sur le lien entre les données de prescription et les données d’hospitalisation, les auteurs du rapport KCE estiment que seulement 12% des utilisateurs de statines l’utilisent pour la prévention secondaire de troubles cardiovasculaires (c.-à-d. la première prescription d’une statine dans l’année suivant une hospitalisation dans un service cardiologique pour diagnostic cardiaque invasif, cardiologie interventionnelle ou chirurgie cardiaque).  Il est également frappant de constater que, bien que le nombre d’utilisateurs de statines en Belgique soit resté stable ces dernières années, il y a chaque année environ 20% de "nouveaux" utilisateurs de statines (personnes qui ont acheté au moins une boîte de statines cette année-là et qui n’ont pas utilisé de statine l’année précédente).  Ainsi donc, logiquement, le nombre de patients qui arrêtent leur traitement par statines chaque année est à peu près équivalent. Le nombre de doses quotidiennes utilisées augmente, mais l’observance thérapeutique est faible: seule une petite moitié des nouveaux utilisateurs peut être considérée comme un utilisateur régulier (>80% d’observance thérapeutique) ; pour un peu plus de 20% des nouveaux utilisateurs, l’utilisation de statines reste limitée à un seul conditionnement.
 

Commentaire du CBIP

Le CBIP est d’accord avec la conclusion du KCE selon laquelle la décision d’initier un traitement aux statines pour la prévention cardiovasculaire primaire doit être prise plus délibérément par un patient bien informé, en collaboration avec son médecin traitant. Des mesures non médicamenteuses sont toujours la première étape et doivent être maintenues lorsqu’un traitement médicamenteux est instauré. Il ne fait aucun doute que le nombre d’utilisateurs de statines en prévention primaire peut être considérablement réduit sans perte de santé. Le traitement médicamenteux doit être réservé aux patients qui en bénéficieront le plus, et les efforts pour améliorer l’observance thérapeutique devraient être intensifiés chez ces patients.
 

Glossaire

Risque cardiovasculaire: Il convient de tenir compte du fait que différents critères sont utilisés pour évaluer le risque cardiovasculaire. Les pourcentages et les catégories de risque obtenus diffèrent selon les critères utilisés et ne sont pas interchangeables.

Nom Région Dernière mise à jour Risque sur 10 ans Catégories
Framingham USA 2008 morbidité cardiovasculaire (maladies coronariennes, cérébrovasculaires et vasculaires périphériques et insuffisance cardiaque) Faible risque: <10%
Risque intermédiaire:  10-20%
Risque élevé: >20%
ASCVD USA 2013 morbidité cardiovasculaire  (IMA fatal ou non fatal ou AVC) Faible risque: <7,5%
Risque intermédiaire: 7,5-20%
Risque élevé: >20%
SCORE Eur 2016 mortalité cardiovasculaire (maladies coronariennes, cérébrovasculaires et vasculaires périphériques fatales, mais aussi décès suite à une hypertension, une insuffisance cardiaque et des troubles du rythme et de la conduction) Faible risque: <1%
Risque intermédiaire: 1-5%
Risque élevé: >5%
QRISK UK 2018 morbidité cardiovasculaire (maladies coronariennes fatales ou non fatales (y compris angine de poitrine) ou AVC (y compris AIT)) Faible risque: <10%
Risque intermédiaire: 10-20%
Risque élevé: >20%


Sources spécifiques

1 INAMI. L’usage rationnel des hypolipidémiants. Rapport du jury de la Réunion de consensus du 22 mai 2014. Sur: https://www.riziv.fgov.be/SiteCollectionDocuments/consensus_texte_long_20140522.pdf​
2 Cordon A, De Meester C, Gerkens S, Roberfroid D, De Laet C. Statins for the primary prevention of cardiovascular events. Health Technology Assessment (HTA) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2019. KCE Reports 306. D/2019/10.273/07. Via: https://kce.fgov.be/nl/de-rol-van-statines-bij-de-primaire-preventie-van-hart-en-vaatincidenten
3 AHA/ACC/AACVPR/AAPA/ABC/ACPM/ADA/AGS/APhA/ASPC/NLA/PCNA Guideline on the management of blood cholesterol. 2018. Via: https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/CIR.0000000000000625
4 ESC/EAS Guidelines for the management of dyslipidaemias. Eur Heart J 2016: 37; 2999-3058. doi: 10.1093/eurheartj/ehw272
5 Domus Medica. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. September 2007. Via: https://domusmedica.be/richtlijnen/globaal-cardiovasculair-risicobeheer
6 SSMG. Le risqué cardiovasculaire global. Cahier prevention. Via: https://www.ssmg.be/wp-content/images/ssmg/files/Cahiers_de_prevention/am3.pdf (laatst bezocht 5 maart 2018).
7 Yebyo HG, Aschmann HE, Puhan MA. Finding the balance between benefits and harms when using statins for primary prevention of cardiovascular disease: a modelling study. Ann Intern Med. doi: 10.7326/M18-1279
8 Abdullah SM, Delina LF, Leonard D, Barlow CE, Radford NB et al. Long-term association of low-density lipoprotein cholesterol with cardiovascular mortality in individuals at low 10-year risk of atherosclerotic cardiovascular disease. Circulation 2018: 138: 2315-25. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.118.034273